« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE PORT

 

 

 

Dites-moi le nom du port
Où vous êtes en souffrance.

Dites-moi le nom du vaisseau
Qui échoua devant un roc
Où quatre maures enchaînés
Sèment aux quatre coins des vents
La haine l'ennui le deuil et le délire.

Riez faites du bruit
Refusez la stupeur de ces places carrées
Vides sauf la statue d’un cheval sous un roi
Qui élève au soleil une épée toute noire
Et l'ombre de la statue
Qui abaisse une ombre d'épée vers des portiques sombres.

Ces maisons de briques sourdes
Éventées par tant de hardes
Ne vous ouvriront pas leurs portes

Où vous frappez violemment
Ni ces clairs palais de marbre
Fendus jusqu'au sol par la foudre
Marqués d'empreintes de mains rouges
Silencieux sous le fouet de midi
Ces caveaux scellés de plomb
Ces pieuses prisons souterraines
Où meurent vos reines.

Quelle que soit cette ville au nom problématique
Ses banlieues sont bornées de fossés et de bourbes
La fièvre et le mirage habitent ces marais.

Suivrez-vous la coureuse que du charbon dépare
Ou pare mieux que l’ocre et que le crayon gras
La sournoise qui fuit sans l'accord d’une œillade
Et que vous poursuivrez jusqu'au bout de ses forces ?

Caresseriez-vous l'enfant sale de suie
Qui va s'étendre entre des poissons morts
Pour être découverte ainsi qu'une Floride
Sur le sable irisé de pétrole et d’ordure
Au bord de l’eau tranquillement corrompue ?

Baiseriez-vous les pieds mortifiés par la route
Impurs mendiants poussiéreux et tendres
Précieux comme la cendre du pavot
Qui sert de passerelle au souverain oubli
Quand il prend le départ avec sa clientèle ?

Vous ne sauriez rien faire qui allège la nuit
Ni qui soulage la désolation
D'une plage veillée
Par les abois des chiens

Et la saison des orages est loin.

André Pieyre de Mandiargues / L'Âge de craie suivi de Hedera