« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

rue sous le va-et-vient

 

 

 

rue sous le va-et-vient des roues pétrie
soufflet soulevant rythmiquement l'écorce terrestre
le sein des paroles bien-aimées nourrices mères
qui palpent la cupide chair des soirs
mains qui enlèvent au front dur l'épaisse couche de
     pensées échancrée
aux lèvres portent le verre où grandissent les mondes
font l'aumône et avilissent la propre allure de l'homme
mains crispées sur l'épave qui emportera le corps
     infime
mais l'épave est d'air et fuit
mains qui prient devant l'épave d'air — sans la
     pouvoir saisir —
qui disent à d'autres mains l'inarticulable possibilité
ce que l'oreille s'essaie aux vibrations irréalisables et
     fines
qui seules sentent l'oscillation du dépit
mains fraîches et musiciennes des sereines découvertes
mains adroites aux sauvetages ou destructrices
cachant des larmes rangeant les herbiers des notes et
     des faits
mains qui attrapent et domptent les fauves surgis en
     corps d'hommes
forgés à la tension des célestes enfantements
et mains aussi qui assassinent
vengent l'homme tombé dans l'animale obsession
mains coupées
il y a aussi les mains qui écrivent
paix aux uns gratuité désenchantée aux autres selon le
    hasard des puits où nous tombons
mains incendiaires
les seules qui brillent

 

Tristan Tzara / L'Homme approximatif (extrait)
Illustration : Tristan Tzara by Ben Heine