« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA CHANSON DU PÈLERIN

 

 

Au gentil et gracieux trouvère de Lutèce
Victor Hugo

LA CHANSON DU PÈLERIN

Qui heurte, pendant la nuit sombre et pluvieuse,
à l'huis d'un châtel.

 

Comte en qui j'espère,
Soient, au nom du Père
          Et du Fils,
Par tes vaillants reîtres,
Les félons et traîtres
          Déconfits !

Coucher à ta porte,
Quand le vent n'apporte,
          Cette nuit,
Sur ce lit sans toile,
Pas même l'étoile
          De minuit !

Les murailles grises,
Les ondes, les brises,
          La vapeur,
La porte propice
Qu'un lierre tapisse,
          Me font peur.

Là-haut, le feu terne
De quelque lanterne,
          Sous l'auvent
Qui pend en ruines,
Parmi les bruines,
          Tremble au vent.

J'entends un veux garde
Qui de loin regarde
          Fuir l'éclair,
Qui chante et s'abrite
Seul en sa guérite,
          Contre l'air.

Je vois l'ombre naître
Près de la fenêtre
          Du manoir,
De dame en cornette
Devant l'épinette
          De bois noir.

Et moi, barbe blanche,
Un pied sur la planche
          Du vieux pont
J'écoute, et personne
A mon cor qui sonne
          Ne répond.

Comte en qui j'espère,
Soient au nom du Père
          Et du Fils,
Par tes vaillants reîtres,
Les félons et traîtres
          Déconfits !


10 juillet 1828.

 

Aloysius Bertrand / Le Keepsake fantastique