« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE RÊVE DU FORGERON

 

 

 

u citoyen Jules Guesde (Voix du peuple).


Le forgeron s'accoudait sur l'enclume,
Brisé des reins et tombait de sommeil ;
En songe alors, sa forge se rallume,
Un homme en sort et dit : Pense au réveil !

Cet homme est large et velu comme Hercule,
Un lion roux lui fournit un manteau,
En ruisseaux bleus son sang de fer circule,
Ses deux bras nus lèvent un lourd marteau.

« Je suis Travail, dit-il, mes reins humides
» Gardent encor les sueurs du passé ;
» J'ai, bloc à bloc, monté les Pyramides.
» Les conquérants sur mon corps ont passé.

» Je fus jadis le paria, l'ilote,
» Le vil esclave aux murènes jeté,
» Le serf meurtri qu'à la glèbe on garrotte,
» Quatre-vingt-neuf me cria : Liberté !

» Moi, libre ? oh ! non, j'appartiens au salaire,
» Maître sans  nom qui paie au jour le jour ;
» Je suis encor le bétail populaire,
» L'œil sans lumière et le cœur sans amour.

» Pour gagne-pain, j'eus mes bras, mon échine,
» Les supprimant par un progrès  trompeur
» Sur moi, l'usure a lancé la machine,
» L' écrasement marche à toute vapeur.

» N'est-il pas temps d'enrayer ce système
» Dégradant l'homme et la femme et l'enfant ?
» Mon rédempteur, l'unique, C'est moi-même,
» J'aurai raison du monstre en l'étouffant

» Des parlements, j'ai trop payé les hontes,
» Je ne veux plus Judas pour agréé.
» Au capital; je dis : Réglons nos comptes !
» Tu m'appartiens, puisque je t'ai créé.

» Entre tes mains, ma vie est au pillage,
» La concurrence est un jeu meurtrier,
» Donc, je reprends mon immense outillage,
» L'outil doit être aux mains de l'ouvrier.

» N'ayant qu'un but, la force doit être nue,
» Elle est en moi, la force, et pas ailleurs,
» Paris, martyr, proclamant la Commune,
» A, dans leur rang, sacré les travailleurs.

» Vaincus de Mai, que vos morts soient fécondés !
» Au grand rappel, quand vous vous lèverez,
» Morts radieux, portez dans les deux mondes
» Le draeau rouge aux peuples fédérés.

» Toi, compagnon, prends ces outils qu'on nomme
» Raison, Progrès, Science, Égalité,
» Sois plus qu'un roi, sois ton maître, sois homme :
» O Travailleur, deviens l'Humanité ! »

Eugène Pottier Poèmes, chants & chansons