« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LISA

 

 

 

Je marche les yeux fermés
rêvant du bord de la mer
ce que disent les gens je ne l'entends pas
si de mon corps ils parlent
ou du destin à venir.
J'ai de petits pieds pour m'enfuir
et un cul que j'admire
comme un renard sa queue
vaniteusement.

Je voudrais être respectée
comme je respecte le chêne
dans le jardin qui boit
nos gouttes de sang
quand il cache le soleil
et qu'énorme apparaît dans le noir
le plafond d'un rêve.
Je ris et j'enlève mon rouge à lèvres
et tout de suite je le remets
et je ne saurais vous dire pourquoi
je voudrais changer chaque heure
mais ne me dites pas que je suis inconstante.
J'ai besoin d'air pur
et de fumée, et de brouillard
de m'en aller et de rester
de rouler et de me laver
ne me dites pas que je suis folle.
Je voudrais une ville
qui ne soit pas seulement d'enseignes
j'aime le silence
qui sépare les mots
pas celui qui vient après
les sirènes et les coups de feu.
J'entends le gémissement des chiens
dans la tanière. Je travaille
parmi les parfums et le shampoing
mais je sens la puanteur
de l'haleine des caïmans.
Je pleure penchée devant
l'autel de l'autoradio
je griffe et je rue.

Je voudrais n'être jamais née
et voudrais être vieille
comme ce que je sais du monde
dormir dans tes bras
t'entendre parler
de ton Père, pendant des heures
avec la moto en flammes
sur l'asphalte strié
boire ton sang de ton petit doigt
de sucer la bite
froide comme dans un film
et la montrer aux amies
et je voudrais que tu écrives
sur moi sur tous les murs.

J'ai planté les ciseaux
dans le bras d'un type
qui me bavait dessus
je mords, je souffre
prisonnière dans la forêt
parmi les meutes de chiens
je suis la reine, la servante
je ne sais pas où aller
ce soir, dans le noir
je ne sais pas où te trouver.

 

Stefano Benni / Blues en seize et autres poèmes
traduit de l'italien par Jean Portante