quand un poème ne fonctionne pas, oublie-le, ne
     lui cours pas après, ne le
couvre pas de caresses ni de coups, ne l'oblige pas
     à rejoindre les Alcooliques anonymes ou à
devenir un Chrétien
Évangéliste.

quand un poème ne fonctionne pas, retire juste la
     feuille de la
machine, déchire-le et balance-le à la
     poubelle — ça fait
du bien.

écoute, tu écris parce qu'il s'agit du dernier
     fusil-mitrailleur
sur la dernière colline restante.

tu écris parce que tu es un oiseau posé sur un fil,
     et puis
soudain tes ailes se mettent en mouvement et mon
     petit cul d'imbécile se
retrouve dans les airs.

tu écris parce que l'asile t'attend au tournant
l'asile empli de vomi et de pets, encombré de
     corps et d'esprits, tu écris parce que
tu redoutes par-dessus tout la folie…

quand un poème ne fonctionne pas, il ne
     fonctionne pas ; oublie-le
l'essence c'est le rythme.

on m'a parlé d'une femme qui produit tellement
     de poèmes qu'elle doit
se lever à 7 h du matin et taper jusqu'à minuit.
elle est engagée dans une compétition d'écriture
     de poésie — avec
elle-même.

quand un poème ne fonctionne pas, ça n'est pas
     la fin du monde ; ça n'est même pas une
banane pourrie, ça n'est même pas un faux
     numéro où quelqu'un qui demande
Blanche Higgins.

quand un poème ne fonctionne pas c'est juste
     parce que tu ne l"as pas
eu cette fois
ou ne mettra
jamais la main dessus

prends ce papier, déchire-le, fous-le à la poubelle,
     et
attends.

mais ne reste pas assis devant ta machine, fais
     quelque chose
d'autre — regarde la télé, dis bonjour à ta femme,
     cajole-le
chat.

tout n'est pas fait
de papier.

Charles Bukowski / Tempête pour les morts et les vivants
traduit de l'anglais (États-Unis) par Romain Monnery