« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Les mirages de la Presnia

 

 

 

Je cours, je vois —
                              aux yeux de tous,
depuis les tours de la Koudrinskaïa,
à la rencontre de moi-même,
                                             moi-même
                                                           je viens,
des cadeaux sous le bras.
Étendu les mats en croix dans la tempête,
le navire s'allège ballast après ballast.
Sois maudite,
                    légèreté saccagée !
Avec la masse des maisons, les lointains rochers
montrent leurs dents.
Plus personne, plus de barrière.
Les neiges brûlent,
                             nudité.
Et seulement derrière les volets,
le feu des aiguilles de sapin.
Ils s'opposaient à mes pieds,
ils freinaient leur vitesse,
les murs, qui se dressaient, fenêtres alignées.
Sur les vitres
                   des ombres
                                   silhouettes de tir
tournoient dans la fenêtre,
                                         invitent dans l'appartement.
Il ne quitte pas des yeux la Neva,
                                                    gelé,
il se tient là, il attend
                                 de l'aide.
Sur le premier seuil qui survient
                                                  j'avance mes pieds.
Dans l'entrée un ivrogne prend l'air.
Presque dessoûlé, il quitte en vitesse l'entrée.
Pendant deux minutes, la salle retentit de son cri :
— Un ours,
                  un ours,
                               un ours,
                                            un ou-our-ours…

 

Vladimir Maïakovski / DE ÇA (1923)
traduit du russe par Henri Deluy