« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

JE DÉCHIRE LA DOUZIÈME

 

 

 

L'aiguille doit être au-delà du douze.
Non, je n'ai pas d'horloge allégorique
parlant de douzième heure qui sonne
et de ses équivalents sonores.
C'est l'heure-usine,
le soleil déjeune
et ses rayons
sont tantôt cure-dents épars
tantôt cireurs astiquant
les avions qui passent.
Le soleil après déjeuner
se sent lourd
exorbité comme la curiosité
qui s'écrie qui suis-je qui suis-je
quand toute réponse est muette et s'en fiche.

Mais qui donc l'a fait naître soleil,
grain rouge sur la joue des millénaires ?
Pourquoi n'être pas né plutôt baiser,
cireur faisant reluire les lèvres,
pourquoi pas plutôt pièce de monnaie
pour voyager sans cesse,
connaître des mains inconnues, exotiques ?

Après déjeuner, le soleil
se sent lourd,
comme s'il avait peine à digérer
les heures si régulières.
Alors il a bien envie
ce soir de laisser tomber le couchant,
de faire marche arrière et de s'éteindre
là d'où il viet,
de suivre en somme
le parcours des humains
ce parcours de poupée,
sans saveur
sans les sirops orange.

Bon Dieu, quel vicieux que l'ennui,
dont la mortalité allume les désirs.


J'écris je déchire
j'écris je déchire
pas de cireur qui fasse reluire
toutes les idées passées par la tête et le papier.
J'écris je déchire
je suis lourde,
j'ai fini je crois de déjeuner
exorbitée
comme une curiosité qui s'écrie
qui suis-je qui suis-je
et toute réponse est muette et s'en fiche.
Je déchire en mille et douze morceaux
ce que j'ai pensé,
je déchire des douzièmes heures,
je déchire des montres
en petits morceaux
et les étrangle par dessus le marché
de ma main exotique
de peur que mes écrits déchirés
ne se recollent tout seuls en secret
ne se lisent et découvrent
qu'ils étaient bons à jeter.

 

Kiki Dimoula / Mon dernier corps
traduit du grec par Michel Volkovitch