« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Anesthésie caudale

 

 

Le RER court vers les quartiers périphériques.
                                    Il crache le matin sur la ville on dirait.
Les siamois longilignes de la voie ferrée e collent
                          contre les quais des gares, les écorchent.
               Ils transpércent ensuite le désert vitreux des champs,
               les étangs, les pièces d'eau résonnent
                                    comme des cuivres anciens.

Accrochée à ma poche pend une breloque avec les squelettes
                     des quatre Beatles. Les voyageurs me prennent
                     pour un haut fonctionnaire
                                 qui ne génère aucun bruit de fond.
Nous sommes au début du printemps. La force centrifuge
             de la ville déplace le béton pulsatile vers les banlieues,
                       arrache la chair des navetteurs.

            Comme un fleuve élastique, la ville coule, dévale.
On entrevoit, par endroits, l'hypocrisie glissante des contraires.
Les entrepôts, les usines désaffectées, les kokalars aux lèvres
                                                doubles qui n'évacuent pas l'enceinte,
                     Un plongeon regarde pensif le ciel : il est égaré
                                parmi les vagues basses, vertes, de sigle,


À l'horizon, en pax, les dômes éternels ; leurs toits brillent
                      dans le ciel comme les crânes des skinheads.
Plus près, les insectes des ballastières et, tout autour,
                                       les terrassiers sortis de leur état larvaire.

Partout, des services compétents. Ils me prennent pour
           un haut fonctionnaire qui s'es disputé tôt le matin
           avec sa secrétaire et s'est noué le cou autour
                                                                des roues du métro.

Au printemps,
les banlieux se collet toujours contre les nuages.
                                                          Rentrent en expansion.

Linda Maria Baros / La nageuse désossée - Légendes métropolitaines