« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE REVENU

 

À Théophile Briant


Me voici revenu dans le pays sans ombres.

Ni sur le seuil des portes
Ni dans l'entr'œil du sage
Ne penche l'aile d'une nuit.

Amour d'hiver pour un enfant du Nord
L'image des saisons
Et le chant des maçons
Tout est resté sans ombres dans le sang revenu
Des noirs chemins
Des hautes cheminées
Des lents cheminements de la pensée
Aux vagues d'outre-terre.

Me voici revenu dans le pays sans ombres.

Cet homme qui parlait à la dernière halte
Aux frontières du jour
Son âme était limpide
Plus que l'eau des montagnes
Plus que l'air de midi
Il était transparent
L'aube luisait dans sa pensée
Il était haut sculpté dans sa matière d'homme
Ne connaissant pas bien toute sa clarté.

Il fut lancé dans l'éternel
Chassé d'homme à femme au cours des siècles
Mille couples se ralayèrent pour l'achever
Il fut le souci de bien de ventres
Mais au bout de tant d'années
Il a quand même réussi à venir se poser
Sur ses grands pieds dans ses grises prunelles
Son âme blanche de pommier dans un matin d'avril.

Mais revenons revenons
Dans ce pays sans ombres
Où l'œil est le miroir
La main et le couteau
Le cœur et le départ
Brûlés par le même soleil
Glaçons fondus des hivers de l'Histoire
Sont confondus eux les divers de forme
Dans les mêmes rivières de la nuit sans frontières.

Revenons au pays
O seul l'amour sans ombres
Doit revivre dans la tribu
Clairvoyante et joyeuse des enfants de la terre.

 

Edmond Dune / Usage du temps (1939-1944)
Photo : Dune en 1987 (photo : Wolfgang Osterheld)