« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Pas à pas...

 

 

 

 

 

 

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      Le voilà seul à présent avec lui-même, comme abandonné dans la nuit, sachant que là-bas au bout du chemin où ne brille plus le soleil, apparaîtra sous peu la face pâle et menaçante de la mort. Puisse-t-il alors ne pas laisser jaillir de ses lèvres l'amen du lâche consentement, qui serait d'un renégat, ni courber l'échine, toute résistance cessante. Qu'il ne soit pas dit pour son déshonneur qu'il ait fait don d'allégeance et perdu sa fierté au moment de perdre sa vie.

      Qu'en cette heure ultime ne lui soit pas retirée la force de braver l'ennemi, à défaut d'en triompher ou, pour le moins, celle de sauter le pas sans gémir sur son sort ni en discourir avec les paroles confuses d'un agonisant qui n'a déjà plus sa raison. Autant de souhaits irréalisables dans l'état de déréliction qui est le sien et ne fera que s'approfondir davantage comme la nuit autour de lui où le voici contraint de retourner à l'anonymat premier — sauf que désormais les actes de naissance et de décès certifiés conformes attesteront son passage sur la terre, piètre survivance enfouie dans les archives poussiéreuses si rarement consultées qu'elle diffère à peine de l'oubli.

      Cependant, pas plus qu'il n'a voulu naître, il ne peut consentir de bon cœur à sa condition mortelle, aussi risible qu'en soit le refus, et de fait il en rit parfois, d'un rire sans gaieté, impropre à soulever la chape de plomb du sérieux et rendre l'air moins irrespirable, le peu d'instants qui lui restent à demeurer en vie. Combien il lui aurait plu que la sienne prit fin sur un franc accès d'hilarité, la rupture se produisant avec une sorte d'allègre désinvolture, d'indifférence à la gravité de l'enjeu, mais ce n'est là qu'une vue de l'esprit : ne rit pas qui veut, a fortiori au nez de la mort.

 

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Louis-René Des Forêts / Pas à pas jusqu'au dernier (extrait)
photo : Louis-René Des Forêts et Raymond Queneau