« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Un jeune Français nommé Untel


 

 

I

24 juin

 

 

     Un jeune Français nommé Untel, se trouvant dans la débine, se promenait tristement boulevard Edgar Quinet, le long du cimetière Montparnasse lorsqu'il fut abordé par un vieil homme d'un aspect fort miteux, presque un mendiant;

     — Ça ne va pas, hein ? Ça ne va pas, hein ? dit ce vieillard.

     — On ne peut pas dire, répondit Untel.

     — Je parie que c'est l'argent qui manque.

     — Vous l'avez dit.

     — Qu'est-ce que vous seriez disposé à faire pour avoir de l'argent ?

     — Tout.

     — Même un cambriolage ?

     — Pourquoi pas ?

     — Suivez-moi.

     Ils suivirent le boulevard Raspail vers le Lion de Belfort.

     — C'est un vieux rentier qui habite au cinquième, expliquait le mendiant. Il a tout son argent chez lui. Tous les soirs il s'absente pour faire une manille. De 8 heures à 8 heures 30, le concierge est toujours absent. On peut dire que l'affaire est toute cuite. Tenez c'est ici, ajouta-t-il en s'arrêtant devant un bel immeuble moderne et d'un signe de tête montra l'appartement du rentier.

     — Ne faites donc pas de grimaces comme ça. Vous allez nous faire remarquer.

     Le vieux haussa les épaules.

     — Ce sera comme vous voulez.

     Il s'approcha de la porte et sonna.

     — Qu'est-ce que vous faites là, lui demanda Untel alarmé

     — C'est ici que j'habite, répondit le vieux avec un sourire.

   La porte s'était ouverte ; il la referma derrière lui, soigneusement. Untel s'éloigna en calculant de tête la racine carrée de 123.456.789. Pour passer le temps.

Raymond Queneau / Contes et propos / Un jeune français nommé Untel (extrait) `