« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Ah, que la vie est quotidienne !*

 

 

 

La nue pâle et une lune de tôle
Regardent le garçon blême qui se lave.
Un camion sur les routes sans poussière
Ouvre de son murmure la lisière du jour.

Ô cri rauque, ô blanc soupir du camion évanoui,
Le temps brille dans la lune de tôle
Et le garçon, ses mains dans l'eau nue,
Espère seulement que les lointains…

En répandant des spectres de violettes et des gouttes de pluie
Les cloches de six heures du soir sonnent
Baisant les chevelures bleues des peupliers
Assassinant les lueurs sanglantes dans leurs yeux.

J'étais faible et je suis à présent léger…
Dans mon corps à jeun les cloches me baisent
Et dans mon cœur, nées dans les cloches,
Les étoiles tremblent en moi de plaisir.

La nuit emplit les entonnoirs du silence.
Dans une cage pendue au silence
Une mouche agite ses ailes noires en tournoyant.
Les morts ont dans la main une poignée de terre.

Captif du cœur des morts, le chant de cire
Au souffle du silence se fait de marbre.
Toute la vie en un chant du soir résumée…
Nuit, je ne te connais pas, j'ai perdu ma voix…


…………………


La nula blancia e na luna di banda
a vuàrdin il fantàt blanc sensa polvar
cu'l so susùr al vièrs li sejs dal dì.

O sgrausa, o blanc suspìr dal camio sbàmbit,
il timp al lus ta la luna di banda
e il fantàt cu li mans ta l'aga nuda
al spera doma che li lontanansis…

Sparnissànt lùjars di violis e ploja
li sèis di sera a sunin cun ciampanis
ch'a bussin i ciavièj azùrs dai poj
copint in tai so vuj li lus rovanis.

I eri debul e adès i soj lizèir…
Tal cuàrp dizùn mi bussin li ciampanis
e in tal còur, nassint su li ciampagnis,
li stelis a mi trimin di plazèir.

La not a impla li pìriis dal silensi.
Ta na cheba piciada tal silensi
na mos'cia a zira cu li alis muartis.
I mùars a àn in man un pùin di ciera.

Sieràt tai còurs dai mùars il ciant di sèra
al rispìr dal silensi al ven di piera :
duta la vida a è chel ciant di na sera…
Not, no ti cognòs, no ài pì vòus !


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* En français dans le texte. Citation d'un vers de Jules Laforgue, extrait de Complainte sur certains ennuis.

 

Pier Paolo Pasolini / Poèmes en frioulan (1943-1949)
traduit de l'italien (et du frioulan) par René de Ceccatty