« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le grand ciel que je voyais


 

 

Le grand ciel que je voyais en éventail gris de Goya s'éployer hier au soir au-dessus de la plaine du Poitou, il est fait aujourd'hui de festons et de bourrelets. Deux hommes armés de fusil écoutent leurs chiens de chasse brailler loin et par intermittence dans l'épais des bois. Comme je prends par le travers, le lièvre qu'ils poursuivent coupe le layon, et dans le houx j'aperçois le retroussis blanc de sa queue alors que les roitelets tout autour égrènent de frêles épis dans l'ultime clarté.

 

Des fenêtres trouent l'ouest.

Mer et forêt se mélangent.

Des arpents de nuit

S'affaissent sur nous.

 

Forêt de Chizé, mercredi 28 octobre 1981

 

Les lactaires qui font aux gouttes des fontaines

Ne prêtent dans l'herbe l'oreille

À rien qui ressemble à de faux bruits.

 

Les ivrognes ne voient pas si c'est le jour ou la nuit. Ils titubent de planète en planète, sans aucun soleil ni vin, avec l'alcool seul qui les givre et leur fait convoiter la flamme qu'entretiennent au fond de l'antre des vestales flétries, vêtues d'un tablier de cuisine et de jarretelles.

 

Je suis entré dans le plat pays des rouches. Au bord du chenal le vent chavire une volée de chardonnerets. Les voici maintenant sur les cardères qu'ils enflamment un instant de leurs plumes. À Champagné-les-Marais j'ai demandé si on connaissait la montagne des Coquilles. Oui, ça se situe à gauche avant d'entrer dans Saint-Michel-en-l'Herm, au lieu-dit La Dune. J'aperçois en effet un tertre, derrière une ferme, au bout d'une usine désaffectée. J'enfile un chemin autrefois empierré, lequel, selon mon estimation, me conduira au but. Je franchis la clôture. Le vent me pousse dans les narines une odeur de fermentation. Le vent remue des tôles, agite et tourmente un long tuyau rouillé qui pend. Le monticule est fait d'une sorte de sable ocre rosé, gars, humide, légèrement boueux. Je m'en retourne. Un vol de mouettes s'enlève au ras du labour, puis se pose en un mouvement si pur qu'on le dirait dessiné par un chorégraphe.

Vendredi 6 novembre

Robert Marteau / Forestières (extraits)