« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le jazz de la veuve


 

 

1

 

La chair blanche frémit à l'âme noire
Chicago !      Chicago !

Une plainte intraduisible
d'un enchevêtrement de pâles serpents s'élance

vers l'extase léthargique des pas
qui retournent au but primitif

L'homme blanc délaisse ses manières de comédien
les frères de couleur ont la lune dans les yeux

Hantés par les instruments à vent
dans les bosquets de la grâce

les jeunes pousses
s'inclinent sur les hautbois

et les gigolos gominés
rôdent autour des tabous sanglotants

Un clown électrique
fait résonner avec fracas les cargaisons furtives du plancher

Les silhouettes découpées
se dissolvent
dans les bas-fonds cuivrés de la dissonance
mimes tournoyants

d'Éros abuseur
de l'adolescence

Noirs les anges brutes
dans leur gant d'homme
mugissent à travers la monstrueuse excroissance de troncs
     métalliques

et d'espiègles musiques
émiettent le pain extatique
devant un parterre de colombes en syncope

 

2

 

Cravan
l'absent colossal
la ténèbre suppléante
déferle sur ce riche sâti

mémoire incandescente
de l'amour survivant

brûlée par les flammes du son
l'urne veuve

impuissante renferme
ton rire assassiné

Époux
comment en secret tu m'as cocufiée avec la mort

et tandis que ce jazz cajoleur
respire de son souffle tropical

parmi les échos de la chair
synthèse
de la caresse des races

l'ange et l'âne
dans l'infaillible espéranto
du monde
parlent
du plaisir jamais éteint

alors que mon désir
parcourant
la distance de la mort

recherche
le silence opaque
d'un espace dépeuplé

Mina Loy / Il n'est ni vie ni mort - Poésie complète
traduit de l'anglais par Olivier Apert