« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Trouvé dans des papiers de famille


 

 

J’ai tant rêvé, j’ai tant rêvé que je ne suis
Plus d’ici.
Ne m’interrogez pas, ne me tourmentez pas.
Ne m’accompagnez pas sur mon calvaire.
 

Il ne m’est pas donné de m’expliquer les ordres.
Pas même le droit d’y songer,
Il est grand temps que je me lève et que je parte.
 

Il a une permission de la mort, et il arrive.
Au tournant de la rue qui mène à la nuit, je l’attends.
La mer va rentrer ses dernières terrasses.
Une première lampe a soif dans les ténèbres.
 

Un pas sur le pavé. Son ombre le précède
Et se couche sur moi, la tête sur mon cœur.
Il est là.
 

Toujours son chapeau rond, toujours son sac à main,
Comme il était, le jour qu’il revint d’Italie.
Je ne vois pas ses yeux. Il ne me parle pas.
 

Je me roule vers lui comme une pierre obscure.
Je ne peux pas franchir son ombre.
 

Êtes-vous bien portants ? Qu’avez-vous fait depuis ?
Pourquoi n’êtes-vous pas montés ?
Tous les jours, j’allais voir et vous n’arriviez pas !
 

Il ne dit rien de tout cela.
Mais tout en lui dit : Souviens-toi.
 

La nuit sur lui s’est refermée.

Léon-Paul Fargue.