« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE DIMANCHE


 

 

Je haïssais toujours le dimanche comme un ennemi

Ce jour imbécile

Avec une voûte céleste

Sous laquelle les hommes traînaient

Se forçant à une morne fête,

Ne croyant ni à dieu ni à eux-mêmes.

 

Je haïssais simplement le dimanche

Des phonographes, des ouvriers saouls,

Des lâches riches fuyant en autos,

De l’odeur généreuse des frites de la patrie,

Des pioupious nègres et adjudants rasés de frais,

Je haïssais l’ennui que seul dans ma chambre

Je lisais dans le ciel si vache quand il est pur

Et si semblable à nos cœurs déchus quand il tempête.

 

Je haïssais ce jour où l’usine éteinte

Le cher travail glacé et suspendu

Laisse à l’homme le temps de penser

De faire le bilan lamentable de sa vie.

Oh oui ! je haïssais le dimanche,

Car c’est le jour où je pense

Et compte les jours morts et les jours futurs

Et désespère de cette plage

Où je suis retenu par l’attraction.

 

Et maintenant que je chôme,

Que l’usine est froide et rouille,

Chaque jour est un dimanche,

Je hais chaque jour,

je veux dormir,

J’aime seulement le sommeil.

Ô l’éveil dans le dégoûtant jour.

Je pense et je crève

Et je pense que je crève.

Aujourd’hui, c’est dimanche

Demain dimanche

Éternel dimanche

Au fond de la ville.

Pierre Morhange / La vie est unique