« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

JOUE ET DORS…


 

 

Joue et dors, bonne soif, nos oppresseurs ici ne sont

     pas sévères.

Volontiers ils plaisantent ou nous tiennent le bras

Pour traverser la périlleuse saison.

Sans doute, le poison s’est-il assoupi en eux,

Au point de desserrer leur barbare humeur.

Comme ils nous ont pourtant pourchassés jusqu’ici,

     ma soif,

Et contraints à vivre dans l’abandon de notre amour

     réduit à une mortelle providence !

Aromates, est-ce pour vous ? Ou toutes plantes qui

     luttez sous un mur de sécheresse, est-ce pour vous ?

     Ou nuages au grand large, prenant congé de la

     colonne ?

Dans l’immense, comment deviner ?

 

Qu’entreprendre pour fausser compagnie à ces tyrans,

     ô mon amie ?

Joue et dors, que je mesure bien nos chances.

Mais si tu me viens en aide, je devrais t’entraîner

     avec moi et je ne veux pas t’exposer.

Alors, restons encore… Et qui pourrait nous dire

     lâches ?

René Char / Joue et dors / Les matinaux