« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Un jour

 

 

Un jour, peut-être, un jour, oui, j’espère, un beau jour,

Vous vous étonnerez de nos temps difficiles,

Des haines justifiant nos guerres imbéciles,

Vous, les libres enfants de nos pauvres amours,

Nous ne serons pour vous que de lointains fossiles.

 

Vous, les enfants d’un monde éclatant de bonheur,

Sans frontières, menant à travers les espaces

Sans souci de parquer les peuples ni les races

La seule humanité qui poursuivra sans heurts

Son immense voyage où nos douleurs s’effacent.

 

Nous vivons dans un temps dont les plus grands trésors

Sont l’argent, le profit, la misère et la peine.

Aux uns tous les mépris, la faim, la soif, la haine ;

Aux autres le plaisir d’adorer le veau d’or

Et qu’importe pour eux l’esclave qu’on enchaîne.

 

Le spectacle du monde est chaque soir offert

Par la télévision avec ou sans péage.

Je vois les torturés en prenant mon potage,

Je mange mon bifteck en regardant l’enfer,

Et la mort des enfants m’est offerte au fromage.

 

J’ai mon petit bonheur, mon paisible clapier.

Si je reste bien sage, on me permet d’y vivre.

J’ai mes indignations, mes rages et mes livres.

Je peux crier, hurler, taper des mains, des pieds :

Je ne vaux pas plus cher qu’à Sparte un ilote ivre.

 

Nous sommes devenus des pions, des dominos,

Maniés par des puissants au-dessus de nos têtes.

De case en case va la vie qu’ils nous ont faite,

Leur tiercé, leur loto, leur race, leur techno.

Et nous ne savons plus ce qu’était un poète.

 

Nos maîtres, ces tyrans se disant innocents,

Officient chaqe jour dans leur temple, la Bourse ;

La calculette en main, ils vont faire leurs courses,

Pour vendre ou acheter du blé, du vent — du sang.

Ils nous ont fait payer jusqu’à l’eau de nos sources.

 

Un écran vert s’allume, ils poussent un bouton :

Quelque part des soldats près des fusées s’empressent.

L’enfer s’est déchaîné : morts, cris, larmes, détresses.

Des digues sont rompues. En bourse, que dit-on ?

« La courbe du Profit remonte et se redresse. »

 

Comment comprendrez-vous le chaos de ce temps ?

Des peuples affamés voient brûler des récoltes.

Dans les cris des mourants, les danseurs virevoltent.

On pille, on viole, on tue, on torture. Et pourtant,

J’espère encore en vous, enfants de nos révoltes !

 

Ne nous méprisez pas dans vos temps plus heureux,

Nous, les gens d’aujourd’hui dont l’espoir vagabonde :

Cet enfant méprisé, c’est David et sa fronde.

Démuni, sans pouvoir, chacun fait ce qu’il peut

Pour qu’un jour, un beau jour, vous acheviez le monde.

Jacques Charpentreau.