« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

À L’ÉCOUTE

 

 

C’était une nuit comme toutes les autres. Vide

de toute chose hors le souvenir. Il croyait

être arrivé de l’autre côté des choses.

Mais il avait tort. Il lut un peu,

écouta la radio. Regarda par la fenêtre

un moment. Puis monta au premier. Au lit

se rendit compte qu’il avait laissé la radio allumée.

Mais ferma les yeux tout de même. Au cœur de la nuit,

tandis que la maison cinglait vers l’ouest, il s’éveilla

au bruit de voix qui murmuraient. Et se figea.

Puis comprit que ce n’était que la radio.

Il se leva et descendit. Il avait

envie de pisser de toute façon. Dehors, une petite pluie

qui n’avait pas été là avant s’était

mise à tomber. Les voix

à la radio faiblissaient puis revenaient

comme de très loin. Ce n’était plus

la même station. Une voix d’homme

dit quelque chose à propos de Borodine,

et de son opéra Le Prince Igor. La femme

à qui il parlait dit qu’elle était d’accord, et rit.

Se mit à raconter une partie de l’histoire.

Sa main s’écarta du bouton de la radio.

Une fois encore il se retrouvait en présence

du mystère. Pluie. Rire. Histoire.

Art. L’hégémonie de la mort.

Il demeura là, debout, à l’écoute.

Raymond Carver / Où l’eau s’unit avec l’eau