« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Meringués


 

 

 

 

La vendeuse boit du petit lait (elle a pas vu ça souvent) je fée des mots jolis sur les gâteaux qu’elle est à me peser Oh ça ne pèse pas ces trucs-là mini-meringués ça n’a pas plus de poids qu’les soupçons d’la vierge Marie ou les pensées d’un angelot qui soufflerait l’hyver parmi la laiterie (je n’sais plus ce que j’ai dit) 

— Mais c’est d’la poésie m’a-t-elle répondu

— J’y suis vous savez toute la journée Si vous y teniez ça peut donner quinze lignes je vous les offrirais gracieux… Elle m’a fini le paquet en souriant cheveux gris l’air fatigué Elle vend aussi cafés chocolats Mais le meringué, ma mère ça l’amusera elle croquera l’imprévu le sucré possibilisé comme si le chef pâtissier d’un seul coup s’envolerait parmi légèreté broderie d’air blanc petits seins secs la dent réduira… Et rien dedans sinon le très doux l’inattendu volume brisé ça & là tout ça sous les dents curieux gâteaux formés mosquée. Ma mère s’en réjouira elle pensera que je suis à m’occuper d’elle jour & nuit Le meringué c’est un peu l’hostie de la courtoisie Quel génie a-t-il inventé pareille pâtisserie qu’on la dirait fomentée par des amoureux d’on ne sait quoi Et ma salive casserait le si léger cimenté qu’en moi j’introduis… Surprenante réalité dont les tissus parfois m’étonnaient On est là si loin de l’acier armuré tout cela qui – fabriqué par nous aussi – alourdissait notre Corps & nous a si souvent massacrés !…

Jean-Paul Klée / Manoir des mélancolies