J’ai tant vagabondé
Par domcorrieras, le dimanche 9 octobre 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
J’ai tant vagabondé
En mon propre destin !
J’ai tant de fois dédaigné
Le foyer toujours aimé !
Tant de fois refusant
Ce que j’avais convoité,
Je fis de mes vers un douillet
Refuge de non-être !
Et tant de fois, sachant
Que de moi-même j’étais oublieux,
Et que toute ma vie —
Je l’avais perdue tout entière —
Avec la fierté du pauvre
Vers le foyer dédaigné
J’ai retourné mes yeux, vil gentilhomme
Noble seulement dans les pleurs…
Mais tant de fois ne croyant plus
En l’être inconsistant avec lequel,
Au Carnaval de mon âme irréelle,
Je m’étais appliqué à revêtir
Tout ce que j’aurais pu sentir,
J’ai bien vu qui était celui que je ne suis pas
Et tout ce que je n’ai pas dit
M’a troublé le regard…
Alors, tout seul avec moi-même,
Sans m’avoir pour ami,
Enfant proche des cieux
J’ai donc mis la main dans celle de Dieu.
Puis, dans le mystère obscur
J’ai senti sa vieille main me guider,
Et je m’en suis allé, rassuré comme un homme
A qui l’on donne du pain.
Pour cette raison, à chacun des pas
Que mon être si triste et las
Sent provenir de la bonté
Que toute âme, si elle est véritable, possède,
Cette main d’enfant qui est mienne,
Sans la moindre crainte ni espérance
Pour qui je suis, je la dépose dans la main
De Dieu et poursuis mon chemin.
Fernando Pessoa / Cancioneiro / « Entre le sommeil et le songe » (1930-1935).
traduit du portugais par Michel Chandeigne et Patrick Quillier.