« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Dans ma rue

 

 

 

 

 

Dans ma rue

les oiseaux font du chahut font du chahut

et s’égosillent à qui mieux mieux

pour chanter siffler dire la vie

cette belle vie qui les anime.

 

Dans ma rue

été comme hiver

une petite dame un peu simplette marmonne

se raconte invective se rassure

elle marche penchée très tôt le matin

jusqu’au soir elle parle marche trotte 

se parle marche et se parle encore.

 

Dans ma rue

la nuit s’étire l’ombre

d’un poteau télégraphique

s’il pleut l’ombre brille sur l’asphalte

c’est une croix inversée

qui s’allonge qui s’étire

et se tait toute la nuit.

 

Dans ma rue

chaque soir retentissent

les rires d’une truie qu’on chatouille

à l’apéro chaque soir

chaque soir glousse 

grommèle ma grosse truie

de voisine.

 

Dans ma rue

y’a la police qui passe et repasse

dans des voitures municipales

municipale la police

qui passe et repasse

sans mal y pense

toujours pressée

de ne rien voir.

 

Dans ma rue

ma grasse voisine

convoque la police

c’est ma musique ma musique

qui l’empêche de glousser

ma laide laie de voisine

à l’apéro et qui couine. 

 

Dans ma rue

traversent les galopins des écoles

en file derrière leurs maîtres les petits

en grappes qui s’égayent les ados

courent et s'attrapent les enfants

qui crient se chamaillent

qui se rient de tout.

 

Dans ma rue

c’est une femme d’un certain âge

tout le monde la connaît Madame L

elle accompagne les enfants à l’école

tous les petiots du quartier

sans jamais se plaindre

ni rien demander toujours alerte

Madame L qui les accompagne

au portail et les ramène.

 

Dans ma rue

c’est le facteur qui vient

porter le courrier à midi 

souvent c’est une factrice

juchée sur son vélo jaune

qui distribue les rappels

des impôts sommations de payer

avant le dix-huit de ce mois

sur son vélo jaune à midi.

 

Dans ma rue

je salue de la main

l’homme qui n’a plus de cordes vocales

il est maigre et promène son chien

il ne peut parler qu’à travers un micro

qu’il pose contre sa gorge

je le salue de la main

il promène son chien

me salue de la main.

 

Dans ma rue

s’acoquinent les caïds

autour des bagnoles de luxe

aux vitres teintées

ils bombent le torse

interpellent les filles

qui baissent la tête

leur font des signes des lazzis

avant d’aller serrer la main

d'autres caïds qu’ils connaissent

si bien qu'ils bombent le torse.

 

Dans ma rue

c’est chaque jour

un ballet d’autobus

de longs cars scolaires

qui transportent vers Metz

vers Thionville ou ailleurs 

les gamins des petites écoles

et du collège Verlaine

chaque jour un ballet d’autobus.

  

Dans ma rue

ce sont les chats les plus fiers

ont toujours des choses à faire

les chats roux les chats gris

ont toujours des choses à voir

de l’autre côté du trottoir

les chats noirs les chats blancs

et les chattes si fières.

 

Dans ma rue

au printemps fleurissent

de rose les pruniers du Japon

alignés comme soldats de plomb

ensuite viendra le temps

des cerisiers gorgés de fruits

et les congrégations de corneilles

sur les lignes électriques

posés jusqu’au prochain hiver

tout blanc quand reviendra le temps.

 

Dans ma rue

qui porte le nom de Schuman

un Robert qui n’était pas musicien

et que croise la rue Sainte Marie

où les chats les enfants traversent

tandis que batifole sous les toits

une nichée de pouillots siffleurs

des pioupious qu’on dirait musiciens

persiffleurs passereaux musiciens.

 

Dans ma rue

du balcon où je fume

j'énumère les heures les corneilles

je vois passer la factrice

juchée sur son vélo jaune

je vois passer la police

et chaque jour le ballet des autobus

en attendant le soir

quand pour l’apéro couinera ma voisine

d’en dessous du balcon 

où je fume où je tousse.

© Dom Corrieras / Maizières-lès-Metz - Mars 2016