« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le sablier

 

 

 

 

 

 

Suspends ton cœur aux trois piliers,

Suspends ton cœur les bras liés,

Suspends ton cœur, ton cœur qui pleure

Et qui se vide au cours de l’heure

Dans son reflet sur un marais.

Pends ton cœur aux piliers de grès.

 

Verse ton sang, cœur qui t’accointes

À ton reflet par vos deux pointes.

 

Les piliers noirs, les piliers froids

Serrent ton cœur de leurs trois doigts.

Pends ton cœur aux piliers de bois

Secs, durs, inflexibles tous trois.

 

Dans ton anneau noir, clair Saturne,

Verse la cendre de ton urne.

 

Pends ton cœur, aérostat, aux

Triples poteaux monumentaux.

Que tout ton lest vidé ruisselle :

Ton lourd fantôme est ta nacelle,

Ancrant ses doigts estropiés

Aux ongles nacrés de tes pieds.

 

VERSE TON ÂME QU’ON ÉTRANGLE

AUX TROIS VENTS FOUS DE TON TRIANGLE.

 

Montre ton cœur au pilori

D’où s’épand sans trêve ton cri,

Ton pleur et ton cri solitaire

En fleuve éternel sur la terre.

 

 

Hausse tes bras noirs calcinés

Pour trop compter l’heure aux damnés.

Sur ton front transparent de corne`Satan a posé son tricorne.

Hausse tes bras infatigués

Comme des troncs d’arbre élagués.

Verse la sueur de ta face

Dans ton ombre où le temps s’efface ;

Verse la sueur de ton front

Qui sait l’heure où les corps mourront.

 

 

Et sur leur sang ineffaçable

Verse ton sable intarissable.

Ton corselet de guêpe fin

Sur leur sépulcre erre sans fin,

Sur leur blanc sépulcre que lave

La bave de ta froide lave.

 

 

Plante un gibet en trois endroits

Un gibet aux piliers étroits,

Où l’on va pendre un cœur à vendre.

De ton cœur on jette la cendre,

De ton cœur qui verse la mort.

 

 

Le triple pal noirci le mord ;

Il mort ton cœur, ton cœur qui pleure

Et qui se vide au cours de l'heure

Au van des vents longtemps errés

Dans son reflet sur un marais.

Alfred Jarry / Les Minutes de sable mémorial