« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ADIEU PATRIES


 

 

 

 

 

j’ai beaucoup peiné à travers le monde

j’ai beaucoup marché seul et j’ai tourné

comme un âne à un puits pour tirer l’onde

noire des villes où j’ai promené

à longueur d’interminables journées

ma soif de boire à ce que je croyais

être un bonheur dont moi seul me croyais

ne jamais pouvoir un jour en jouir

or plus j’y tournais plus j’étais inquiet

plus je sentais qu’il m’en fallait partir

 

 

quand je marchais dans Barcelone quand

j’y voyais tous ces gens rire et parler

je me disais : qu’ils sont heureux ! oh ! quand

pourrai-je moi aussi comme eux parler

et me promener longuement par les

rues comme ils font infiniment ? oh ! comme

il serait bon pour moi dans Barcelone

de me mouvoir dans tout ce qui les meut

et de parler leur langue oh ! comme bonne

serait ma vie si je vivais comme eux !

 

 

et cependant je continuais d’errer

dans la rue éreintante à Barcelone

me trompant et me perdant aux carrés

dessinés comme à Buenos Aires comme

à New York à Montévidéo comme

toutes ces villes à carrés ma bouche

les a bouffées comme un enfant qui bouffe

sa bouillie pour comprendre enfin le monde :

j’avais faim du monde comme les mouches

ont faim de fiente pour bourrer leur pompe

 

 

vous comprenez quand on naît en Belgique

on a l’impression d’être un peu damné

on se dit : plus tard ! plus tard magnifique

je donnerai à mes yeux étonnés

le monde entier à mon ventre affamé

d’enfin manger ce que sa faim réclame

c’est ainsi que partant dessus la lame

amère des grands océans amers

j’allai m’emmêler les pieds dans la trame

vaste des villes au-delà des mers

 

 

« vous qui me voyez passer comme une ombre

ayez au moins la charité d’ouvrir

un peu la porte à ce visage qu’ombre

le lourd décompte de ses déplaisirs

et s’il vous plaît de prendre le loisir

d’accueillir et nourrir ce passager

veuillez surtout ne pas décourager

sa volonté de garder le silence

jusqu’au moment où passé le danger

il reprendra son errante cadence »

William Cliff / ADIEU PATRIES (extrait)