« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

CRÉSUS


 

 

 

 

Que la pourriture

Aux extrémités de radium

aux clous mimétiques

Vous aspire

Poitrine en avance sur son néant

Espoir qu’une lame de limon inverse

Bouche d’air imagination

 

Enfants agiles du boomerang

Longs amants aux plaisirs retirés

Filante vapeur insensible

Aux chairs agrandies pour la durée du sang

Aux successions hantées

À l’avenir fendu

Vous êtes le produit élevé de vos intègres défaillances

Virtuoses de l’élan visionnaires imprenables

Côte à côte dormez l’odyssée de l’amour

Les pièces de tourments éteintes

L’indiscernable blé des cratères

Croît en se consumant

Fossile frappé dans l’argile sentimentale

— Disons à toute épreuve l’étendue de l’amour —

Une femme suit des yeux l’homme vivant qu’elle aime

Baignée dans le sommeil qui lave les placers

 

À la faveur de l’abandon

Lui verse un léger malaise

Ha ! comme il bombe la paupière

L’obstiné conventionnel

 

Assiette nue offerte à l’air

Au banc des mangeurs de poussière

Les mots restaurent l’Automate

Les mots à forte carrure s’empoignent sur le pont élastique

Qui mène au cloître du Cancer

 

Mains obscures mains si terribles

Filles d’escommuniés

Faites saigner les têtes chastes

 

Derrière les embruns on a nommé le sang

La chair toute-puissante ranimée dans les rêves

Nourricière du phénix

 

Mort minuscule de l’été

Dételle-moi mort éclairante

À présent je sais vivre.

René Char / Poèmes militants (1932)