« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Dans un bois



 

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Dans un bois un homme s’égare

un homme de nos jours

    et des siens en même temps

Et cet homme égaré sourit

il sait la ville tout près

et qu’on ne se perd pas comme ça

    il tourne sur lui-même

Mais le temps passe

Oui le temps disparaît

    et bientôt le sourire aussi

Il tourne sur lui-même

    qui tourne autour de lui.

L’espace est une impasse

    où son temps s’abolit

    Il a un peu terreur

    Il a un peu ennui

C’est idiot se dit-il

    mais il a de plus en plus

    terreur ennui soucis

Est-ce

Meudon-la-Forêt Noire Bondy

Les gorges de Ribemont

            d’Apremont

il sait pourtant bien que

        c’est le bois de Clamart

mais il y a quelque chose

        dans sa mémoire

        dans son imaginatoire

quelque chose qui hurle à la mort

    en lui tenant les côtes

Mais

il a beau essayer de sourire encore

le fou rire de l’enfance

est enfermé dans le cabinet noir

il a terreur et panique de logique

et dans ce bois

comme navire sur la mer

il a roulis angoisse désarroi de navires

 

Oh je ne suis pas supersticieux

mais je voudrais toucher du bois

pour ne pas le devenir

 

Toucher du bois tout est là

 

Et dans son désarroi il se fouille

comme un flic

fouille et palpe un autre être

Pas de cure-dents pas d’allumettes

Nulle amulette

il est de plus en plus perdu

aux abois comme biche ou cerf

et il oublie de plus en plus

que les arbres sont des arbres

et que les arbres sont en bois

 

Toucher du bois

toucher du bois

 

Soudain derrière lui tout entier

                    le bois

mais lui dans un véritable fou rire

intact ensoleillé

                        disparaît

Jacques Prévert / Arbres (extrait)
photo : Prévert par Doisneau