Le sablier
Par domcorrieras, le lundi 28 mars 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Suspends ton cœur aux trois piliers,
Suspends ton cœur les bras liés,
Suspends ton cœur, ton cœur qui pleure
Et qui se vide au cours de l’heure
Dans son reflet sur un marais.
Pends ton cœur aux piliers de grès.
Verse ton sang, cœur qui t’accointes
À ton reflet par vos deux pointes.
Les piliers noirs, les piliers froids
Serrent ton cœur de leurs trois doigts.
Pends ton cœur aux piliers de bois
Secs, durs, inflexibles tous trois.
Dans ton anneau noir, clair Saturne,
Verse la cendre de ton urne.
Pends ton cœur, aérostat, aux
Triples poteaux monumentaux.
Que tout ton lest vidé ruisselle :
Ton lourd fantôme est ta nacelle,
Ancrant ses doigts estropiés
Aux ongles nacrés de tes pieds.
VERSE TON ÂME QU’ON ÉTRANGLE
AUX TROIS VENTS FOUS DE TON TRIANGLE.
Montre ton cœur au pilori
D’où s’épand sans trêve ton cri,
Ton pleur et ton cri solitaire
En fleuve éternel sur la terre.
Hausse tes bras noirs calcinés
Pour trop compter l’heure aux damnés.
Sur ton front transparent de corne`Satan a posé son tricorne.
Hausse tes bras infatigués
Comme des troncs d’arbre élagués.
Verse la sueur de ta face
Dans ton ombre où le temps s’efface ;
Verse la sueur de ton front
Qui sait l’heure où les corps mourront.
Et sur leur sang ineffaçable
Verse ton sable intarissable.
Ton corselet de guêpe fin
Sur leur sépulcre erre sans fin,
Sur leur blanc sépulcre que lave
La bave de ta froide lave.
Plante un gibet en trois endroits
Un gibet aux piliers étroits,
Où l’on va pendre un cœur à vendre.
De ton cœur on jette la cendre,
De ton cœur qui verse la mort.
Le triple pal noirci le mord ;
Il mort ton cœur, ton cœur qui pleure
Et qui se vide au cours de l'heure
Au van des vents longtemps errés
Dans son reflet sur un marais.
Alfred Jarry / Les Minutes de sable mémorial