« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

AIGUES

 

 





Comme chaque matin

Nous nous sommes assis

Formant un demi-cercle

Parmi les herbes folles

Non loin du campement

 

Attentifs

Nous nous sommes assis

Au milieu des épaves

Recouvertes de rouille

Pour déjeuner un peu

Des restes de la veille

 

Odeurs de cendres froides

Dans les replis humides

De nos habits usés

Le matin est monté

Droitement dans le ciel

 

Un temps

Attentifs

 

Nous nous sommes assis

Sur l'aire d'autoroute

Au milieu des carcasses

À demi disloquées

Qui nous servaient d'abris

À demi provisoires

 

Véhicules immobiles

 

L'absence de rumeur

Avait cédé la place

Aux bruits de cette vie

          Plus touffus

          Ramassés

          Au sortir

          Rameutés

          Névrosés

          Stridulants

          Ça et là

Les bruits de dette vie

Claquaient dans le vent sec.

 

Véhicules immobiles

 

Quelques fumées au loin

Répandaient dans le jour

Leurs volutes serrées

Comme autant de signaux

Machinalement bruts

 

Juste en bas devant nous

L'autoroute semblait

Un lieu délimité

Enrubanné de noir

Où de petites taches

Figuraient lentement

 

Un temps

Démesuré

 

Nous nous sommes assis

Les jambes dans le vide

Pour regarder la ville

S'ouvrir comme un gros fruit

Devant notre indifférence

 

Nous allions bientôt manquer d'eau

 

Avant qu'il soit longtemps

Oublieux

 

Un temps 

Oublieux

Nous nous sommes assis

Sur le rebord du monde

Pour un temps

Oublieux

D'une gorgée d'eau douce

 

Limpide

 

Nous nous sommes assis

Sur le rebord du monde

Pour prendre sa mesure

Pour changer d'équilibre

Le temps d'un contretemps

 

Limpide

Un peu comme aujourd'hui

 

Accessoirement

 

Un temps

Réel

 

Nous avons levé le camp

À la tombée du soir

Dépareillée

La caravane s'est formée

Pour ainsi dire à demi-mot

Didjeko / Ferrailleurs du Cosmos