« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Oiseaux, et qu’une longue affinité

 

 

 

VIII

     Oiseaux, et qu’une longue affinité tient aux confins de l’homme... Les voici, pour l’action, armés comme filles de l'esprit. Les voici, pour la transe et l’avant-création, plus nocturnes qu’à l’homme la grande nuit du songe clair où s’exerce la logique du songe.

     Dans la maturité d’un texte immense en voie toujours de formation, ils ont mûri comme des fruits, ou mieux comme des mots : à même la sève et la substance originelle. Et bien sont-ils comme des mots sous leur charge; magique : noyaux de force et d’action, foyers d’éclairs et d'émissions, portant au loin l'initiative et la prémonition.

     Sur la page blanche aux marges infinies, l’espace qu’ils mesurent n’est plus qu’incantation. Ils sont, comme dans le mètre, quantités syllabiques. Et procédant, comme les mots, de lointaine ascendance, ils perdent, comme les mots, leur sens à la limite de la félicité.

     À l'aventure poétique ils eurent part jadis, avec l’augure et l’aruspice. Et les voici, vocables assujettis au même enchaînement, pour l’exercice au loin d’une divination nouvelle. Au soir d’antiques civilisations, c’est un oiseau de bois, les bras en croix saisis par l’officiant, qui tient le rôle du scribe dans l’écriture médiumnique, comme aux mains du sourcier ou du géomancien.

    Oiseaux, nés d’une inflexion première pour la plus longue intonation.. Ils sont, comme les mots, portés du rythme universel; ils s’inscrivent d'eux-mêmes, et comme
d’affinité, dans la plus large strophe errante que l’on ait vue jamais se dérouler au monde.

     Heureux, ah! qu’ils tendent jusqu’à nous, d’un bord à l’autre de l’océan céleste, cet arc immense d’ailes peintes qui nous assiste et qui nous cerne, ah! qu'ils en portent tout l’honneur à force d’âme, parmi nous!

     L’homme porte le poids de sa gravitation comme une meule au cou, l’oiseau comme une plume peinte au front. Mais au bout de son fil invisible, l’oiseau de Braque n’échappe pas plus à la fatalité terrestre qu’une particule rocheuse dans la géologie de Cézanne.

 

Saint-John Perse / Oiseaux