« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE POÈME

 

 

 

content de planer et de voir le monde au ralenti,
pour pouvoir toucher les demi-notes qui flottent
     dans l'air.
le monde tourne (orbite) plus vite qu'un 9/8 de Dave
     Brubeck, nous
cherchons frénétiquement  les villages aux toits
d'arc-en-ciel de Thomas More.
montent soudain Charlie Mingus et Ahmed Abdul-Malik
pour ajouter des basses au puits sans fond de l'insécu-
     rité,
si tu es en plastique, c'est peut-être parce que
tu ne médites jamais sur le fond des verres,
le troisième côté de ton univers.
     Ajoute
Alice Coltrane et ses tensions cosmiques, toujours pas
     de voix
sur les horizons bleu-noir/ta plasticité est mise à
     l'épreuve
par un assaut informe : LE SOLEIL peut répondre à des questions
en harmonie avec le silence sacrificiel/mais pourquoi
notre nouvel âge du jazz ne nous donnera-t-il pas
     d'autres énigmes en expansion ?
(Entre John) souffle toujours d'en dessous, que jamais
le cri du matin (LE SOLEIL) ne jaillisse de saxophones
     qui tordent la cervelle.
     le tiers monde arrive avec Yussef Lateef et
Pharoah Sanders sur des hautbois qui se tendent pour
     toucher le
cœur de ton âme inconnue. Ravi Shankar vient
avec des cordes attachées/préparées à stabiliser
ton septième sens (le Rythme Noir !)
le long d'une échelle stupide les notes courent dépour-
vues de mots, les mots sont importants pour l'esprit/les
     notes sont pour l"âme.
     Miles Davis ? SO WHAT ?
     Cannonball/Fiddler/Mercy
     Dexter Gordon/ONE flight UP
     Donald Byrd/Cristo
     mais les mots ?
voudrais-tu survivre de tristesse/appeler
le Bonheur sur Ella et José /
dériver avec
Smoky/Bill Medley/Bobby Taylor/
Otis/la soul music où les frustrations sont
balayées par les percussions — venez, Nina et Miriam —
congo/mongo assomme-moi
bongo/tonto — comme un éclair à travers les mondes de
rêves du STP et du LSD SpEeD kIlL.s, les amphés
tuent et par/fois l'appel que la musique lance aux
Noirs est confus, notre éclair c'est le rythme de notre
vie/pas sûr/pas sain.
je te resupplie de t'évader
et de vivre
et de tout écouter du réel, pour survivre
le temps d'une seconde de sincérité en toi-vraiment-toi
jusqu'à ce qu'un appel vienne t'entraîner ailleurs.
     Nous
devons tous pleurer, mais faut-il que nos larmes soient
     blanches ?

     Ma mission, c'est-à-dire la tâche que je m'étais fixée
pour le printemps suivant, c'était de me relier le plus
étroitement possible à la vision que j'avais en mot, afin
de pouvoir amener les autres à prendre conscience des
inégalités et de l'hypocrisie qui président à la survie
quotidienne. Je me résignai à emporter un stylo partout
où j'allais pour peindre, dans les moments d'inspiration,
des tableaux composés de mots. Parfois, les pensées que
je voulais exprimer tenaient en une page , souvent, elles
prenaient la forme de dissertations, mais plus souvent
encore, j'étais assailli par de petites explosions de senti-
ments et de sensibilité que je résolus de ranger sous le
titre de « messages mentaux », faute d'avoir pu trouver
un meilleur terme.

 

Gil Scott-Heron / Le vautour (extrait)
Photo : Gil Scott-Heron in London Hotel Room - 1985