« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Villes

 

 

Le silence coula sur mes mains
c’était un orage de sable
la ville était pleine de sable
où donc étaient-ils les humains
j’avais beau courir dans le vide
suivi lentement de mes pas,
le vide était plus plein
qu’une poitrine gonflée qui fait sauter les pressions,
le vide était si plein,
j’avais si peur qu’il n’éclatât
que soudain j’ai pensé qu’il me fallait crier
ressusciter la vie
souhaiter le sifflet des bateaux, des sirènes d’usine
la rumeur des meetings, des fleuves de glace qui cassent
sous la poussée du printemps,
les vitrines brisées des grèves générales,
le bruit strident des rémouleurs aiguisant les ciseaux, les couteaux,
la criée des poissons dans les halles,
les plaintes des marchands d’habits,
des rempailleurs de chaises,
des pianos mécaniques et des musiques perforées.
Je vous appelais du fond terreux de mon angoisse
sonorités des étameurs, des camelots, ô chansons nasillardes
des marchandes de quatre-saisons qui font au printemps maladif
l’opération césarienne -
Et peu à peu je vis céder mon insomnie
mes oreilles bourdonnaient, une sorte d’âcre paix, une paix nauséeuse,
pénétra dans mon sang avec une vieille odeur de draps
et mon sommeil ouvert comme une bouche d’égout
buvait les cantiques pieux des machines à coudre,
le ronflement régulier des tuyaux de vidanges,
le souffle léger de la vie qui monte et qui grince, ô poulie !
Le bruit de plus en plus fatigué de la vie.

 

Benjamin Fondane / Titanic