« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Tenson

 

 

 

« Il me plaît Giraut de Borneil
de savoir pourquoi vous blâmez
La poésie « fermée» et selon quelle apparence.
          Et dites-moi
          Si vous estimez
Tout ce qui est commun à tous,
Car alors tous les poète seront égaux. »

« Messire Linhaure*, je ne me plains pas
De voir chacun versifier selon ses goûts ;
Mais je veux me juger moi-même selon ce principe
          Que chacun est plus aimé
          Et plus estimé,
Quand on le fait facile et simple.
Ne m'en veuillez pas de parler ainsi.

« Giraud, je ne souhaite pas que ma poésie
Retourne en telle cohue où l'on aime autant
Le mauvais que le bon et le petit que le grand.
          Jamais les sots
          Ne la loueront,
Car ils ignorent et ils s'en moquent
Ce à quoi j'accorde du prix »

« Linhaure, si pour cette poésie (difficile)
Je veille et change mon divertissement en fatigue,
Il semble bien que pour elle j'aie peur du bruit de la
                                                                     critique.
          Pourquoi faites-vous des vers
          S'il ne vous plaît point
Que tel et tel les sache tout de suite ?
La poésie ne rapporte pas d'autre profit ! »

« Giraut, pourvu que je rassemble les meilleures
                                                               pensées,
Que je les exprime aussitôt et les mette en relief,
Peu m'importe si mon œuvre se répand moins.
          Car un mets recherché
          Ne peut être vulgaire.
Voilà pourquoi on estime plus l'or que le sel,
Et il en va de même pour la poésie. »

« Linhaure, il est de bon conseil,
Le parfait amoureux qui parle
Pourtant, ce qui m'inquiète le plus

C'est qu'un chanteur sans voix
Proprement impayable
Détraque et dise mal
Ma mélodie légère

« Giraut, ni par le ciel, ni par le soleil,
Ni par le jour qui resplendit,
Je ne sas de quoi nous parlons
          Ni où je suis né,
          Tant mon trouble est grand
Et tant je suis en joie parfaite et naturelle !
Lorsque je pense à autre chose, cela ne me
                                     tient pas au cœur. »

« Linhaure, si celle que je courtise tourne
                        vers moi pour me repousser)
Le côté rouge de son écu,
Je suis prêt à dire : « Je me recommande
                                                     à Dieu ! »
          Quelle sotte pensée
          Outrecuidante
A fait naître en moi une crainte déloyale !
Ne me souvient-il point comme elle fit de moi
                                l'égal d'un comte ? »

« Giraut, je regrette, par saint Martial,
Que vous partiez avant Noël. »

« Linhaure, c'est que je m'en vais sur-le-champ,
À une cour royale, riche et puissante. »


…..
* Linhaure est le senhal ou surnom de Raimbaut d'Orange, chez Giraut de Borneil.

 

Raimbaut d'Orange et Giraut de Borneil / Anthologie - Poésie des troubadours
Texte (revu) et traduction (retifiée) de Audiau-Lavaud par Henri Gougaud