« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

NOCTURNE DE TOUTE HEURE

 

 

 

     Belle, laisse-toi descendre dans le cristal caressant de soie fluide et de sourire bleu. A votre chair charmante, l'eau de ce golfe est un appel du délicieux silence. Ses ondes, qui frissonnent à peine, sont des lèvres, le doux frémissement veut courir sur vos fraises et rafraîchir le doux lys de vos flancs. Limpide enlacement de la mer transparente, la convoitise de l'eau cherche vos seins et la fleur de votre ventre. Comme les baisers presque immobiles du calme de la mer désirent obstinément votre forme, ô ma chère beauté ! Ce lac virginal a soif de votre grâce, vierge, et de vos sources tièdes. Venez dans l'eau, venez, ô venez vous baigner. L'onde matinale vous appelle. Son sourire de feuille et d'aile veut vous voir et vous toucher de plus près. Dans ces miroirs murmurants et si tendres, on ne trempe pas, pour un seul instant, un corps languissant qui se retire : on passe tout le jour dans la claire fraîcheur de la marine, à Porto Venere. Coupe de Cythère, plus voluptueuse d'avoir été portée aux bords de l'Occident, Port de Vénus le bien nommé ! Viens t'y rendre à ta prime demeure, sirène. Réponds à toutes tes sœurs, les sirènes qui t'attendent la gorge ruisselante. Ici, vous allez redevenir vous-même, vous refaire grand lys marin, nénuphar qui se réveille, anémone de la mer. Et la nuit même est si tiède et si claire, que vous serez dans cette eau délicieuse, où le ciel ne nous doit prêter que les étoiles, l'arc même de la lune absente et son collier perlé.

 

André Suarès / Le Voyage du Condottière (extrait)
Illustration : André Suarès par Louis Jou