« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

la corde en fibre de verre

 

 

 

le vieil homme était plus âgé que moi
à bord du train filant vers le sud
la mer s'étendait à perte de vue
et puis le train s'est engouffré
entre deux falaises jaunes et
la mer a disparu alors
il m'a dit,

     « En 1941 j'ai amené 400 mulets
     du Missouri jusqu'en Italie.
     ces mulets sentaient la mort.
     il a fallu plus d'un bateau
     mais j'y suis arrivé.
     ils se sont servis des mulets pour
     traîner un canon en haut de la montagne.
     les Autrichiens et les Italiens
     ont mené la guerre entière depuis
     une montagne. »

le train est sorti d'entre les falaises,
et là-bas sur la mer
des gars dévalaient comme des fous
sur des planches de surf. Je viens de finir
le Racing Form.

     « on a fait des ponts de corde
     allant toujours plus haut
     d'une montagne à l'autre
     et les mulets traînaient le canon
     dessus. »

     « des ponts de corde ? j'ai
     demandé.

     « c'était des cordes en fibre de verre, rien
     de plus solide, on resserrait les liens
     avec un rouage comme dans un bac à roues
     puis le mulet et le canon passaient dessus.
     il n'y avait pas de force aérienne à l'époque et
     quand on faisait parvenir le canon au sommet
     on le pointait dans leur direction
     et on bombardait la ville en dessus
     de nous. »

je l'ai quitté lorsque le train a atteint le
champ de courses, c'était un vieil homme
qui regardait par la fenêtre.
j'ai traversé le pont, il était en bois,
le bras de mer qu'il enjambait
sentait l'eau croupie. J'ai marché en direction de
l'hippodrome; il faisait chaud, c'était un samedi
d'août 1964 et le monde
était toujours
en guerre.

 

Charles Bukowski / Tempête pour les morts et les vivants
traduit de l'anglais (États-Unis) par Romain Monnery