« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

KILLER

 

 

 

La télé chantait cette nuit très tard
d'un pays où pendant le sommeil
on encercle les villages, et on égorge
aussi les femmes et les enfants
vont et viennent comme les rêves
et le rêve remplit la maison de sang
la ville est allée se coucher vivante
et s'est réveillée avec la gorge coupée
ce serait eau de faire ainsi
mais vous êtes trop nombreux
dans la lumière du jour
même si je tuais la moitié de mes semblables
l'autre moitié me pèserait sur le cœur.

Je me suis habillé de bleu
j'ai faufilé dans ma bottine
un stylet d'argent
dans la gaine j'ai le Wesson
dans la poche un Beretta
l'un est comme une secrétaire
rapide et silencieux
l'autre est petit et bruyant
comme une maîtresse hystérique.
J'ai descendu les marches, saluant
beaucoup de gens de bien.

J'ai caressé un chien
j'ai souri à une petite jeune apeurée
toute en nichons et lunettes
je suis sorti dans la rue. Au kiosque
le vent agitait les journaux
comme les branches d'une forêt
volaient des papiers et des feuilles sèches
mon honneur pluie et tempête
étaient sur le point d'arriver
et le ciel noir d'orient
recouvrait le leu. Résonnait
la prière pouilleuse
des mouettes affamées
mordait l'air le miasme
âcre de l'incinérateur.
je ne pouvais rêver
d'un scénario meilleur.

L'enseigne Jeux Vidéo versait
du liquide chromé et des diamants
sur les motos, insectes géants
ai-je imaginé en tirant
jusqu'à ce qu'ils s'envolent tous.
J'ai attendu en jouant
j'étais Lord Raiden contre l'homme Loup
deux fois j'ai gagné, deux fois perdu
Doom, Sarajevo, Bagdad
Alger, Kigali, ta ruelle
choisis l'arme et l'ennemi
viens avec moi, mon gars
je suis un laser propre
je suis un poignard aiguisé
je suis le démon du vacarme
je suis l'Ordre et l'Un
je suis ce qui tout
sépare et numérote
je peux tuer pour de l'or
ou pour quelques lires
quand tu verras ma lumière
il ne servira à rien de t'enfuir.

Je tuerai Lisa, ou le Fils
ou le Devin, ou ce garçon
avec le visage indien, qui pleure
silencieux dans un ange
ou celui qui est triste, et gros
avec le porno dans la pochette
ou cette nénette pâle
qui fume en attendant quelqu'un.
Jeunes douleurs qui attendez
n'ayez pas hâte, n'insistez pas
un jour je vous laisserai en paix.
Je suis la dernière chimie
le clone qui te remplacera
l'arbre coupé, l'eau gaspillée
la faim le froid l'abandon
je suis un article de six lignes
je suis un livre sans âme, je suis
les mots de haine de n'importe quelle chaîne
je suis la justice et la prison
je suis normal.

Je t'ai vu entrer. Crâne
sous le tatouage il y a le cœur
si je tire das le tas
toi ou un autre c'est la même chose
quelqu'un n'a pas payé, et alors ?
C'est l'heure de le faire, madame.

Et me surprend un visage
qui court à ma rencontre en hurlant
un visage gris de vieillard
mon visage dans vingt ans.
Si je ferme les yeux j'entends
le coup de feu et le son
et l'éclair et le tonnerre
crépite la nuit sur les néons
et me regarde fuir.
Il pleut. J'espère que la pluie
lave le sang. C'était un vieux.
Moi je n'ai fait qu'écouter
les mots que vous m'avez dits.

 

Stefano Benni / Blues en seize et autres poèmes traduit de l'italien par Jean Portante