« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

HEURS & MALHEURS DU TROU DU CUL

 

 

 

 HEURS DU TROU DU CUL


     Ceux qui savent que toutes choses grandes en noblesse et vertu courent le risque d'être méprisées par la fortune ne s'étonneront pas de ce que le cul soit si malheureux, lui en particulier qui réclame davantage d'empire et de vénération que les autres parties du corps ; car il est, à y bien regarder, le plus parfait, le mieux placé et le plus favorisé de la Nature, puisque sa forme est circulaire comme la sphère, et qu'il est divisé par un diamètre ou zodiaque comme elle. Sa position est centrale comme celle du soleil ; son toucher est doux; il n'a qu'un seul oeil, ce pour quoi certains l'ont voulu appeler borgne, et si nous y regardons mieux, il doit être pour cela loué, car il s'apparente aux cyclopes, qui avaient un seul oeil et descendaient des dieux de la vue1.
     S'il n'a qu'un seul oeil, c'est à cause d'Amour tout-puissant (car Amour est aveugle), outre que le trou du cul, du fait de sa grave et haute autorité, ne consent à abuser de pupille ; et en y regardant de plus près, il est plus apte à voir que les yeux, car, bien qu'il ne soit pas si limpide, il a meilleure tournure. Sinon, voyez ceux-là, dépourvus de tout art; si lisses qu'ils n'ont aucune ornementation, contrairement au trou du cul, riche de plis et de moulures, d'ourlets et de bordures, avec un sourcil qui peut s'apparenter à la queue d'une rosse, ou à la barbe d'un lettré ou d'un médecin. Et on le conserve ainsi, comme chose indispensable, précieuse et belle, bien caché au plus près du corps, enfoui entre deux murailles de fesses, enseveli dans une chemise, enveloppé dans des chiffons, engainé dans des hauts-de-chausses, emmitouflé dans un manteau, et pour cela dit-on « Baise-moi là où le soleil n'entre pas. » Ce qui n'est point le cas des yeux, car il n'y a paille qui ne les gêne, poussière qui ne les trouble, éclair qui ne les aveugle, obstacle qui ne les masque, chute qui ne les tourmente, mal ou tristesse qui ne les attendrissent.
     Considérons le très révérend père trou du cul, qui se laisse tripoter et manipuler si familièrement par toute ordure et tout élément de basse nature. Nous ajouterons en outre que le trou du cul est plus nécessaire que les yeux ; car sans yeux on peut vivre, mais sans trou au cul, ni mourir ni vivre.
     On sait par ailleurs qu'il s'est trouvé nombre de philosophes et d'anachorètes qui, pour vivre en chasteté, se sont privés de la vue, eux et les chrétiens les appelant communément «fenêtres de l'âme », par où se boit le poison des vices. C'est par les yeux qu'il y a séductions, incestes, stupres, morts, adultères, haines et vols. Mais quand, à cause du pacifique et vertueux trou du cul, y eut-il scandale, inquiétude ou guerre de par le monde ? Quand, à cause de lui, aucun chrétien n'apprit ses prières, s'en alla quêter dans les rues ou eut besoin de guide, comme l'on voit chaque jour par aveuglement des yeux, qui exposés à tout vent et à toute inclémence, à trop lire, forniquer, à cause d'une purge, d'une prise de tabac, laissent un chrétien aux abois?
     Prouvez que le trou du cul a tué des jeunes hommes, des chevaux, des chiens, etc. ; qu'il a flétri des plantes et des fleurs, comme le font les yeux, réputés pour leur nuisance : ce par quoi on dit qu'il y a mauvais oeil. Quand aura-t-on vu que par lui on ait pendu quelqu'un, comme à cause des yeux, quand un témoin est pressé par les calomnies d'un greffier ? Outre que le trou du cul est un et son pouvoir si absolu, qu'il peut davantage que les deux yeux. Quand a-t-on vu qu'en questions de respect de la loi on ait mis en cause le trou du cul ?
     Le reste, son voisinage, est sans comparaison possible, car il est toujours, chez les hommes et les femmes, voisin des parties génitales ; et l'on démontre ainsi qu'il est bon, d'après le proverbe : Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es. Il s'estime en meilleur voisinage et compagnie que les yeux, puisque ceux-ci sont voisins  des poux et des pellicules de la tête, de la morve du nez, des glaires de la bouche et de la cire des oreilles, ce qui plaide clairement en faveur du sérénissime oeil, le trou du cul.
     Et si nous voulons rendre plus subtile cette considération, nous verrons que dans les yeux on trouve habituellement mille accidents, des voiles, des cataractes, des nuages et beaucoup d'autres maux ; mais dans le trou du cul jamais il n'y eut de nuages, car il est limpide et serein ; que, au mieux, il peut usuellement tonner, et c'est matière à rire et à plaisanterie.
     Car comment prétendre qu'il n'est pas un organe qui fait plaisir aux gens ? Demandez-le à celui qui avec joie décharge, car il vous répondra selon le proverbe connu qui, pour proclamer qu'on aimait quelqu'un avec effusion, disait : «Je t'aime davantage qu'une bonne envie de chier. » Et l'autre Portugais2, qui pénétra davantage cette matière, dit : « Qu'il n'y aurait dans le monde plaisir tel que chier s'il recelait des baisers » ; et il dit bien, en cela aidé par sa connaissance intime des pouvoirs de la queue. Car que dirons-nous si nous prouvons ce point avec un texte du philosophe qui affirma :

                               Il n'y a contentement dans cette vie
                               que l'on puisse comparer
                               au plaisir de chier.

     Un autre dit combien le corps jouissait de repos après avoir chié :

                            Il n'y a de plaisir plus reposant
                            que celui qu'on trouve en chiant.

     Les noms, enfin, qu'il a sont loin d'être sans saveur. On l'appelle derrière, parce qu'il a pour serviteurs, placées devant lui, toutes les autres parties du corps, et qu'il a sur elles un empire particulier; cul, forme si remarquablement réussie, qui entraîne après lui la bouche de celui qui le nomme ; et il y en a qui l'ont désigné par des termes très graves et latins, appelant les fesses antiphone, parce qu'elles sont deux; d'autres, plus pertinemment, l'ont appelé séant; certains, noeud-coulant, et je n'ai pu en démêler l'origine, quels que soient les nombreux livres que j'ai pu consulter ; j'ai trouvé au mieux qu'on devait dire peau-de-figue, pour son apparence naturellement ridée et blette.
     Je suis tombé avec plus de facilité sur les raisons qu'on avait d'appeler le joli trou du cul trousseau de clés : pour la rondeur de l'anneau et les nombreuses moulures qui produisent ce même ourlet, et cela se marie bien avec ceux qui nomment coffre le cul, ce qui est lui donner serrure.
     Et chez les animaux nous voyons que la Nature recouvre leur cul d'une queue ou appendice, pour  qu'en tant que partie plus nécessaire et secrète il fût
accompagné, couvert et protégé, et avec chasse-mouches pour l'été ; il en est de même chez les oiseaux.
     Si l'on regarde ses occupations, il fait ce que personne ne fit jamais ni ne put faire, car en ce monde nous avons tous besoin des autres pour garant : le policier du magistrat, le magistrat du juge, le juge du président, le président du roi. Mais le cul se légitime lui-même, et légitime-t-il le président parfois, car ainsi désigne-t-on le pot de chambre (autrement nommé serviteur, terme équivoque pour les chevaliers servants de ces dames).
     Le cul ne supporte point la comparaison, même si tu me prouves qu'il fait des diarrhées, à l'imitation de tant d'autres, car ce qu'il fait ce sont des étrons, qui sont des bornes ultimes, pour donner à entendre qu'en arrivant au cul il n'y a pas à passer au-delà.
     Il est remarquable que dans les ventes aux enchères on dise : « Quelqu'un pousse-t-il ? » ; car je ne sais si l'on invite à chier (au sens propre de pousser) ou à acheter ; comme quoi il est vrai qu'il a de telles prérogatives qu'on se sert de ses formes pour parler d'autres choses.
     Jusqu'à ses excréments ou à sa merde (passe ton chemin, ne va pas te dégoûter d'un plat si savoureux) qui ne soient profitables ; car on sait qu'on ne fait aucun remède des chassies des yeux, et ni ces excréments, ni ceux de la bouche, des oreilles ou du nez ne sont en rien utiles ; mais les médecins galénistes3 et les apothicaires droguistes soutiennent que ceux du trou du cul, de l'homme ou de la femme, sont bons pour guérir les yeux; ceux des bêtes, que l'on appelle fumier, servent à fertiliser les champs, et nous leur devons les fruits ; quant à la merde du chat ou civette, il n'y a pas à prouver ou à examiner quelle est sa valeur ou estimation ; celle du boeuf, ou bouse, est utile à de nombreux remèdes. Cela est prouvé et vérifié ; y aura-t-il quelque audacieux pour dire que les yeux ont quelque vertu ? Ainsi donc le trou du cul, lui tout seul, est meilleur et de plus grand profit que les yeux.
     Ceux qui font les gros yeux contre le trou du cul disent qu'il pète et qu'il chie, ce que ne font pas les yeux ; les malheureux ne voient pas qu'ils le font bien davantage et bien pis que le trou du cul; car, en eux, il n'y a pas de sommeil qui ne finisse chié en abondante chassie ni cauchemar ou frayeur qui ne pissent sur eux avec quantité d'eaux, et cela sans aucun profit, comme ce que rejette le cul, et comme cela est du reste attesté.
     En ce qui concerne le pet, il est vrai que les yeux n'en font pas ; mais il faut relever que le pet, loin de faire le cul indigne d'éloge, le fait digne de lui. Pour preuve de cette vérité, je dis qu'en soi c'est chose joyeuse, car où qu'il se libère règnent le rire et la plaisanterie, et la maison entière rit, les innocents se bouchant le nez, et se regardant de travers comme des histrions. Son expulsion est si importante pour la santé qu'en émettant celui-là réside celle-ci. Pour cela, les docteurs recommandent de ne pas les retenir, et ainsi Claude César, empereur romain, promulgua un décret commandant à tous, sous peine de mort, de ne pas retenir (même à table avec lui) le pet, reconnaissant combien il était important pour la santé. D'aucuns prétendent qu'il était motivé par l'intérêt personnel qu'il témoignait pour messire trou du cul.
     Oser dire qu'un pet n'est pas tumultueux ! Y a-t-il chose plus plaisante à voir qu'en une grande assemblée, église ou théâtre, si l'on en lâche un, quelle rumeur il produit et combien tous sont prompts à se boucher le nez, comme il est convenu, et d'autres qui le sentent davantage, dissimulant, prisent du tabac ?
     Il est probable qu'à si haute vertu parvient le pet, qu'il est preuve d'amour ; car, jusqu'à ce qu'un couple n'ait pété dans son lit, je ne tiens pour consommé le mariage. Il est aussi preuve d'amitié, car les maîtres ne chient ni pètent, sinon chez eux ou devant des amis. Et quand on demanda à un Portugais quelle était la partie principale du corps, il répondit que c'était le cul, car il s'asseyait le premier avant tout autre, quand même cela fût devant le roi.
     Les noms du pet sont divers : un tel dit « envoyer une bordée sans semonce », en faisant le cul capitaine ; était en train de les enfiler; d'autres disent « prends ce pruneau », comme si le cul était un verger. D'autres disent encore, quelque peu critiques, « noyau », dérivé de l'énigme « entre deux monts encaissés, le pruneau partait ». D'où est né ce proverbe qui dit : « Par deux monts cerné, un moine vociférait. » Finalement un dernier dit : « Monseigneur Pet-de-Maçon, quand il sortait, lâchait du mortier. »
     Assez de raisons pour avancer la noblesse de messire Pet ! Qu'il recouvre pour l'heure le statut de noble chevalier, et c'est pour qu'on ne dise pas que je patauge dans le lisier que je ne le lie pas à davantage de lieux et d'autorités.
     J'arrête de traiter des pets foireux, même si on reconnaîtra ainsi la qualité, noblesse et ancienneté qu'a le cul dans ce domaine. Car sa force, qui saura la reconnaître ? Elle est telle qu'en s'essuyant seulement d'un linge fin on en laisse de la sorte de tous côtés, au point qu'il est plus facile en comparaison de nettoyer tout un hospice.
     Et, revenant aux autres sens et parties du corps, je dis que ce qui se laisse dans le mouchoir de la bouche est de la glaire, et ce du nez morve, et ce des yeux chassie, et ce des oreilles cire ; mais cela qui se laisse du cul dans la chemise, c'est du crottin, nom d'un fromage très apprécié. Outre que les yeux n'ont pas d'organe désigné pour se nettoyer ; car parfois ils demandent à emprunter le mouchoir utilisé par le nez et la bouche, et parfois ils se nettoient avec la main; et de même pour les autres sens. Mais, si nous revenons au cul, que de signatures de grands seigneurs a-t-il illuminées ! quels papiers des plus intimes amis n'a-t-il pas vus ! que de livres des hommes les plus doctes a-t-il usés ! que de billets doux de dames a-t-il signés ! que de procès importants a-t-il salis ! et quelles chemises de Cambrai et de Hollande a-t-il tachées ! A la fin les meilleures et les plus splendides mains du monde lui ont servi de lingettes, d'après le proverbe :

                               Il est fort rare que la main d'albâtre
                               au cul de son maître ne tâte.

     Il mérite tout, parce qu'aussi, sans être abeille, il fait de la cire ou du cirage (car ainsi parle-t-on des couards qui font dans leur chemise). Même les médicaments doivent leur découverte au trou du cul, car, bien qu'il ne voie pas, certains ont dit qu'un tel voyait la vérité par le petit trou de la lorgnette. En vérité il n'est pas d'autre vue à envier.
     Savoir si les culs ont quelque grâce ou pas serait long à expliquer. Qu'il nous suffise de dire que les culs qui se connaissent se saluent dans la rue. Martial dit qu'ils sont courtois, compressis narebus Iovem salutat, ce qui en espagnol veut dire « en serrant les fesses on salue Jupiter », en parlant de quelqu'un qui péta; et pour cela certains lui donnent tant d'ancienneté qu'ils disent :
« Quel rapport a le cul avec le pouls ? », comme si l'on disait de l'un qu'il ne donne aucun souci, le comparant à l'autre de qui le moindre accident déconcerte.
     Et si nous nous dilations dans cette matière, ce serait ad infinitum. Je garantis seulement que concernant tout ce que j'ai dit et pensé sur le cul, bien qu'il m'en reste encore la queue à plumer, ses heurs sont nombreux et très dignes d'éloges, comme ne sont pas moindres ses malheurs suivants :


MALHEURS DU TROU DU CUL


PREMIER MALHEUR
     Un précepteur barbon et crasseux fait un cours à un enfant inattentif; il lui demande d'apprendre la leçon par coeur; comme la mémoire est une faculté traîtresse, l'enfant oublie en jouant, et en punition de ce dont la mémoire fut coupable, on lui lacère le cul à coups de verge.

 DEUXIÈME MALHEUR
     Un étudiant va une nuit dans une vigne, il en vendange la moitié, il a l'estomac rempli comme un pressoir, il trouve sur son passage une fontaine, et parce qu'il en a envie il boit jusqu'à satiété ; la soif lui passe, la diarrhée lui vient et c'est le trou du cul qui le paie.

TROISIÈME MALHEUR
     Un autre, misérable goinfre affamé, engloutit six coings encore verts, parce qu'il les trouva gratis. Comme son appétit le lui conseilla, il en fit une indigestion et c'est le pauvre trou du cul qui à coups de seringue dut en faire les frais.

QUATRIÈME MALHEUR
     Celui-là se met en tête de descendre un escalier, il ne regarde pas où il met les pieds, les yeux évaluent mal, il glisse et dégringole marche à marche, mettant en charpie le trou du cul.

CINQUIÈME MALHEUR
     Un malade mal soigné souffre d'un sommeil profond parce que la maladie a pris possession de ses sens ; le médecin et les mauvais soins prodigués en sont la cause, et c'est l'infortuné cul qui le paie à force de sangsues.

SIXIÈME MALHEUR
     On sait, d'après l'enseignement de nombreux philosophes, que le rot est un pet raté et qu'il y en a d'aussi malheureux qu'il ne leur est pas permis d'arriver jusqu'au cul, ainsi le professe Angulus, qu'il n'a pas fini de sortir que tous lui disent : « En voilà une saleté ! », et quand il sort entièrement par le trou du cul il est applaudi et tout au plus le traite-t-on de cocu, comme un autre avait coutume de dire quand quelqu'un pétait : « Cocu ! par là puisses-tu avaler la viande, et par la bouche manger la merde, et que la putain qui t'a enfanté te voie père pour qu'elle te voie mieux souillé ; que tu les retrouves dans la soupe en pois chiches ; qu'on t'enterre sur cette musique ; engelures et hémorroïdes, ruade de mule papale pour toi; par où le pet est sorti le diable met le doigt, la vipère le dard, le porc le groin, le taureau la corne, le lion la main, que la coupole de l'Escurial et la pointe de mon escargot on te mette, amen. »

SEPTIÈME MALHEUR
     Arrive l'autre étudiant ou auxiliaire en médecine qui, allant ordonner un médicament dans la cuisine, tombe sur la servante qui lui avait tapé dans l'oeil ; elle, pour lui faire plaisir et éteindre l'excitation de la concupiscence et les titillations amoureuses, commence à se dandiner et trémousser, profite du plaisir, et son cul finit meurtri sous les assauts.

HUITIÈME MALHEUR
     Un homme est en train de passer le rabot à une femme et, après s'être satisfait, il dit : « Quelle chose admirable, si elle n'était pas à deux doigts du trou du cul ! »

NEUVIÈME MALHEUR
     Un jour arrive un étranger qui se met à jouer le grand chevalier et à servir les dames avec beaucoup de faste. Il échoue dans ses affaires et écorne sa réputation ; ce qui fut commis par la faute des organes génitaux porte préjudice à la réputation du cul, puisqu'on dit alors : « Un tel a fini cul à terre. »

 DIXIÈME MALHEUR
     Le cul est si malheureux que même le loup mord celui des animaux, et chez les guenons, on voit que, parce qu'elles veulent reposer et s'asseoir fréquemment, leur cul se remplit de durillons; c'est pour cela qu'on en est arrivé à dire : « Un tel a davantage de durillons qu'une guenon au cul. »

ONZIÈME MALHEUR
     Un jour, un autre narcisse gommeux se promène à pied dans la rue à l'heure où tout le monde est dehors; pour aussi attentif qu'il soit aux pierres ou graviers qui sont à découvert pour assurer les pieds et marcher de pierre à pierre, son pied glisse et le pauvre cul se casse la figure et tout finit en trente-six morceaux depuis la tête jusqu'aux pieds.

DOUZIÈME MALHEUR
     En plein hiver et à minuit, un autre pauvre est pris de courante ou évacuation de tripes, et parce que pressé, comme il est, il ne se souvient plus où on a mis le brasero ou le bûcher, il trébuche sur lui et se brise les jambes et le cul, attrapant ainsi une infirmité pour longtemps.

TREIZIÈME MALHEUR
     Qui ne cessera de pleurer l'immense malheur des culs à Carnaval ? Car les jeunes gens, pour se divertir, s'accrochent les uns aux autres des ustensiles et des guenilles au cul et parfois 'enflamment avec de l'étoupe en feu.

QUATORZIÈME MALHEUR
     L’autre fripon se met à souffrir de la chaleur de l’été, et parce qu’en allant se gratter la démangeaison d’un morpion aux parties il est gêné par une horrible population de poils qui jouxte le cul, il détermine de les couper avec des ciseaux et, ayant les mains gourdes et ne voyant pas ce qu’il fait ni ne pouvant souffrir davantage d’être porc, il s’ouvre à coups de ciseaux le pauvre cul.

QUINZIÈME MALHEUR
     L’autre a un jour une envie urgente dans la rue ou en plein milieu d’une comédie, il sort pressé à la recherche d’un lieu où évacuer, et parce qu’il n’arrive pas avec suffisamment de rapidité à le faire ou que quelque nœud l’embarrasse, le pauvre cul est barbouillé ou peinturluré de merde.

SEIZIÈME MALHEUR
     Le pauvre malheureux torero à pied se voit assailli par le taureau, il se retourne pour s’enfuir, il s’emmêle les pieds ou ils ne partent pas assez vite, et parce qu’ils n’ont pas été assez rapides, le taureau lui déchire le pauvre cul.

DIX-SEPTIÈME MALHEUR
     Une vieille va faire un clystère à un malade, elle voit peu, elle n’a pas assez bien pris les mesures, elle coince ses deux doigts dans le cul, et vas-y que je te secoue la seringue entre les fesses, elle lui échaudé le cul, qui paie, le pauvre, l’inattention de la vieille ivrogne.

DIX-HUITIÈME MALHEUR
     Le pape meurt à Rome et on en donne avis par la poste en envoyant un homme au pas de course dont le pauvre trou du cul finit par se fendiller.

DIX-NEUVIÈME MALHEUR
     Un voyageur, très fatigué par la route, arrive à l'auberge, et la première chose qu'il fait, c'est de s'asseoir sans regarder ni prendre garde ; il tombe sur un clou ou une herse, se fait mal, et le pauvre cul en est percé.

DERNIER MALHEUR
     Finalement le cul est si malheureux que même quand tous les autres membres du corps se sont reposés et se reposent souvent, les yeux du visage jouissant de la beauté, le nez des bonnes odeurs, la bouche du bon assaisonnement et baisant ce qu’elle aime, la langue folâtrant entre les dents, se plaisant à rire, conversant et étant prodigue, pour une fois que le cul voulut se délasser, il y eut le feu.


..................................................

1. C'est-à-dire de la connaissance, dont le symbole était l'oeil unique.
2. Portugais et Italiens avaient en Espagne la réputation, amplement motivée par des ressentiments politiques, d'être homosexuels.
3. De Galénius, nom d'un médecin célèbre au xvme siècle.

 

Francisco de Quevedo y Villegas / Heurs et malheurs du trou du cul
Traduit de l'espagnol par Victor Martinez