« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

S'installer dans une cabane forestière


 

 

S'installer dans une cabane forestière

Avec un coq magicien,

Pour ne pas savoir que les canons-pourceaux

Crachent leur tonnerre de fonte,

 

pour ne pas voir comme fument les plaies,

Les entrailles des accouchées, —

Sur la mousse, les clairières du pays des lopars*,

Le printemps bleu s'étendra.

 

Dame élan s'approchera de la cabane

Quémander pour les veaux pies,

Et la souche, renflée comme une marchande,

D'un fichu vert va se parer.

 

La lune sera claire comme une larme ;

L'absinthe — blanche de rosée,

Mais dans la nuit le coq chantera

Comme il y a deux mille ans.

 

Mon cœur s'embrasera comme le feu dans la cour

Qui éclairait la Face d'épines couronnée,

Le siècle romain, pourpre et d'acier,

Décuple le cri du gladiateur.

 

Et l'on  n'entend pas la larme de Pierre,

Ma larme de feu,

Dieu le Verbe égrène

Son azur vivifiant.

 

Mais je n'ai pas d'aiguille pour filer et broder

Les robes immaculées du triomphe…

Crucifiez-moi, ô crucifiez-moi

Comme Saint Pierre, la tête en bas.

 

Vers 1921-22

 

 

*Lopar : nom russe pour les Samis, les habitants autochtones de la péninsule de Kola.

 

Nikolaï Kliouïev
traduit du russe par Nikita Struve.