« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Russie


 

 

De nouveau, comme aux années d'or,

Trois avaloirs flottent usés,

Et les rayons bariolés s'enlisent

Dans les ornières défoncées.

 

Russie, ô ma Russie misérable,

Tes chansons portées par le vent

Et tes izbas grises sont pour moi

Comme les premières larmes d'amour.

 

Je ne saurais te plaindre

Et ma croix je la porte précieusement…

Au premier sorcier venu

Livre ta beauté sauvage !

 

Qu'il te séduise, qu'il te trompe,

Tu ne peux ni te perdre ni périr,

Seul le souci va assombrir

La beauté de ton visage.

 

Ce ne sera qu'un souci de plus —

Une larme de plus dans la bruyante rivière,

Mais toi, tu es toujours la même : forêts et champs,

Et le fichu brodé qui tombe jusqu'aux sourcils.

 

Et l'impossible paraît possible,

La route longue paraît aisée,

Quand au loin, sur la route, scintille

Un regard vif sous le fichu,

Et que s'élève la plainte des bagnards

Dans le chant sourd du clocher.

 

 

18 octobre 1908

Alexandre Blok
Illustration : Portrait d'Alexandre Blok par Mariia Domnikova