Russie
Par domcorrieras, le jeudi 9 décembre 2021 - Poèmes & chansons - lien permanent
De nouveau, comme aux années d'or,
Trois avaloirs flottent usés,
Et les rayons bariolés s'enlisent
Dans les ornières défoncées.
Russie, ô ma Russie misérable,
Tes chansons portées par le vent
Et tes izbas grises sont pour moi
Comme les premières larmes d'amour.
Je ne saurais te plaindre
Et ma croix je la porte précieusement…
Au premier sorcier venu
Livre ta beauté sauvage !
Qu'il te séduise, qu'il te trompe,
Tu ne peux ni te perdre ni périr,
Seul le souci va assombrir
La beauté de ton visage.
Ce ne sera qu'un souci de plus —
Une larme de plus dans la bruyante rivière,
Mais toi, tu es toujours la même : forêts et champs,
Et le fichu brodé qui tombe jusqu'aux sourcils.
Et l'impossible paraît possible,
La route longue paraît aisée,
Quand au loin, sur la route, scintille
Un regard vif sous le fichu,
Et que s'élève la plainte des bagnards
Dans le chant sourd du clocher.
18 octobre 1908
Alexandre Blok
Illustration : Portrait d'Alexandre Blok par Mariia Domnikova