« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

DON JUAN


 

 

A Maurice Nadeau.

 

J'ai connu la décervelée d'Etampes

qui savait compter jusqu'à trois

la borgne de Paimpol

et la boîteuse de Pithiviers

qui a renoncé à la marche à pied

 

la bleue du Chili

qui déteint à l'eau de pluie

 

j'ai eu la femme tire-lire

la femme tronc la femme chien

 

la femme aux mains d'ébène

la femme en fer qui ne rouille pas

 

Lolita perroquet des îles

moitié oiseau moitié renard

 

la femme pendule

qui mourut par la femme canon

de sa bouche issaient les obus

qui renversèrent notre amour

 

la reine de Broadway

avec ses deux bouches peintes

 

l'orthopédiste aux dents d'alcool

qui crachait des fleurs de néant

 

l'amazone hagarde

qui traverse vingt centimètres de plomb

 

la femme aux yeux de porcelaine

qui pleurait des perles du Japon

l'aveugle aux yeux de marcassite

femmes combien vous défilâtes

à mon gré

 

femme poisson aux seins coupés

femme aux seins superposés

femme aux seins remplacés

par des poignées

combien je vis des exotiques

 

et vous presque femmes

animaux équivoques

marchant dans vos traînes fragiles

sur des sabots d'argent

 

la salée du Portugal

dont la bouche est un miel

mais qui pique au réveil

 

la fripée de Rotterdam

qui sait si bien se cacher

sous les draps

qu'on la cherche dans les plis

 

la calcinée de Draguignan

qui brûle tous les plastrons

quand on l'embrasse

 

l'explosive des Dolomites

qui ne sert

qu'à vous réveiller en sursaut

 

l'orpheline perpétuelle du Canada

qui enterre sa mère tous les jeudis

la femme aux crochets

et la femme viande abattue

qui pourrit dans votre lit

si on ne lui donne pas d'argent

la créancière la marginale

la petite sœur des morts

la noyée

des mers des mares et des bassins

la hollandaise flottante

la retournable

la fiduciaire

la en vrac

l'écorchée de Bagdad

la moribonde

la Souabe

la Souasse

 

mais c'est toi que j'aime

ô la suivante.

André Frédérique / Poésie sournoise