« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA NUIT DE LONDRES


 

 

 

1970

 

 

tant d’oiseaux sur la langue

et la cage des dents

ouverte

tu dis

 

 

 

mais la nuit a des ongles

et l’os

cerne mon peu d’azur

 

 

 

tu dis

je me toi

 

 

 

la peau se retrousse

les nerfs sont blancs

mon oreille n’est à personne

 

 

 

et si

 

 

 

et si

cheveu par cheveu

je me plaquais sur moi

quel corps

dans la chambre

tomberait à l’envers

 

 

 

tu ramasses des creux

tu mets tes doigts dans mes yeux

 

 

 

tu dis

toi me je

 

 

 

dans l’air

une bouche appelle

et le vent se lève

au fond de ma gorge

 

 

 

et le vent pousse un noyau d’obscur

 

 

 

alors

le blanc de l’œil

coule sur nos visages

et c’est la même page

où grandit la même question

 

 

 

alors

la fleur du prisme

écartèle ses arêtes

et de toutes parts

je me souviens de nous

et de nos quatre mains

tombe sur le temps

l’ombre du zéro

 

 

 

un cri

tend son i

pour faire un diamètre

à cette ombre

 

 

 

et si

 

 

 

et si

tu fais boule

autour du moyeu

c’est qu’il faut deux sphères

pour un sablier

 

 

 

maintenant

un cerveau jette du silence

pour cacher sa fuite

et ce qui va

ce qui va de la fêlure aux tempes

est la plaie

 

 

 

la plaie où se perd

ce que tu je nous connais

 

 

 

reste la nuit

rayée d’un nerf

que racle

un rire noir

Bernard Noël / La peau et les mots