« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Anges, épars dans l’air


 

 

 

 

Anges, épars dans l’air,

Qui n’avez pas de chair,

Enviez-nous nos corps

Prisonniers en dehors

Des célestes prairies,

 

Ou légers, transparents

(Nous lourds, malodorants),

Vous tenez-vous toujours

À distance du cours

De nos effronteries ?

 

Qu’est-ce qu’être formé

De ce tuf animé

Par un Dieu qui créa

D’abord l’ange béat

Mais sujet à colère,

 

Au tourment de l’orgueil,

À la révolte, seuil

D’un plongeon sans salut

Vers un autre absolu

dans un temps circulaire,

 

Alors que nous mêlons,

Fidèles ou félons,

Au pire le meilleur

Dans un temps gaspilleur

Qui nous use et divise ?

 

Tant et si bien qu’enfin

Démon et séraphin

En nous recommençant

Par l’amour et le sang

Une lutte indécise,

 

Lequel de nous saura

S’il fut saint, scélérat,

Apostat ou martyr,

S’il dit vrai pour mentir,

Alla droit par l’oblique ?

 

Il vous faudrait un corps

Pour battre nos records

Dans le doute qui rend

Ce dont reste ignorant

L’ange : mélancolique.

Jacques Réda / Démêlés / L’ascension
photo : Jacques Réda © Jean-Luc Bertini