PHYSIOLOGIE MICROCOSMIQUE DE LA MOULE BRUXELLOISE
Par domcorrieras, le dimanche 16 avril 2017 - Poèmes & chansons - lien permanent
Comment la dire ?
La prendre, ne pas la dire.
La prendre avec les mains avant de la prendre avec les mots.
La nourriture, les mots viennent ensuite.
Le poème, la cuisine du souvenir.
De l’épice, de l’épice, de l’échalotte, de l’oignon, de l’ail, etc.
Pouvez-vous peler un poème sans pleurer ?
Oui, par endurcissement à la réalité.
Oui, parce que le cœur d’un poème affleure.
Nous aimons que la réalité soit dure.
Dure et tendre tout à la fois.
Mâle et femelle, ying et yang.
La moule, l’emblème de la plus vieille philosophie chinoise.
La moule, un haïku dans mon assiette.
La nacre bleue du ciel, l’intimité de ma bouche, je bois la
sagesse de la mer.
Un poème naturel populaire, la moule.
Car le peuple est naturellement chinois, multiple et simple.
La moule une fois, la moule deux fois.
La moule autant de fois qu’il y a de fois pour la compter.
Comment, étant partis de Belgique, nous retrouvons-nous en
Chine ?
Par l’exotisme inhérent à la Nature et au poème.
Le poème est l’exote de la Nature, la Nature est son hôte.
J’ôte une moule d’un caquelon de moules, l’océan ne frémit pas.
Je ne changerai pas l’ordre des vagues.
Je n’ébranlerai pas l’impassibilité du rocher.
Je pose la moule dans mon assiette et je retiens mon souffle.
Entendez-vous le bruit de la mer ?
Distinguez-vous le bleu de nacre du ciel ?
Cueillir, la fonction de cueillir est le sommet de l’étrangeté.
Faisons une déclaration à la moule avant de l’engloutir :
Moule, je vous ai choisie, vous serez pour toujours mon infini.
La moule, plus réaliste, n’en croit rien.
La moule ne croit pas au discours amoureux.
Elle sait qu’elle doit écarter ses coques ses cuisses de moule.
Elle s’y apprête elle se laisse faire.
Ses défenses coupante sont une protection symbolique.
La moule, la poésie est une épice qui ne l’enflamme pas.
Appelons prose le rapport de la moule à son environnement.
La moule est une scientifique conscience.
Ne l’intéresse que ce que l’on connaît de son espèce.
Miracle, elle, d’avoir été cueillie choisie sélectionnée ?
C’est la faiblesse du mollusque humain de le croire.
Lui qui secrète les mots comme les larmes dans le désordre
des glandes.
La moule n’est pas romantique, absolument pas.
Deux-cent cinquante litres d’eau traversent une moule en une
journée.
Une moule, imaginez deux cent cinquante bouteilles d’Évian
à côté d’elle sur une table.
Cela fait une belle publicité télévisée, n’est-ce pas.
Pour qui ?
Indiquez la direction à nos regards, s’il vous plaît.
Ne nous laissez pas le choix entre la prose, le poème, le poème
en prose !
Nous sommes incapables de choisir, de cliquer sur la bonne
flèche.
Toutes ces réflexions nous nous les faisons à Bruxelles.
Bruxelles est nom de lieu de tout lieu de l’univers où des
moules se mangent.
La moule, où que vous soyez vous êtes à la mer à la plage.
La moule, contact direct avec la Zélande Zeeland.
Flamande par la provenance, wallonne par l’assonance.
Bi-valve bi-lingue je plonge le nez dans le dictionnaire de la
moule.
Je disparais entre ses coques, ma bouche suçotte lèche aspire
mordille.
Se fend d’une conversation sacrée avec sa fente.
Mon confessionnal jansénitse provisoire la moule.
Tête sortie de l’Évangile, mes joues fument, s’empoivrent,
s’écrevissent.
Je me suis échalotté allez-vous-en !
Ah ! comme pécher est bon, ma sœur ma sœur laissez-moi
vous pêcher !
Avec les mains d’abord, je vius élis je vous ai lue vous si
ronde si gironde.
La Moselle Mademoiselle la moule vous va vous moule
si fruiteusement.
C’est une émulation, vous et moi, vous m’échappez je vous
happe.
Nous conversons sans les frontières je vous dépointille
pointilleusement.
Vous déshabille de vos byssus abyssalement.
L’habit salé d’Abyssinie de vos salures je m’y abîme profondément.
De mes plongées aux bénissures je sors mouillé comme un
naissant.
J’ai bu la mer dans son entier vous divisée par deux moitiés
etc., etc.
Telle chaleur lyrique qu’inspire quelquefois la moule au
consommateur…
Jacques Darras / L’indiscipline de l’eau - Anthologie personnelle 1988-2012