« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE SOIR


 

 

 

 

Le soir ramène le silence.

Assis sur ces rochers déserts,

Je suis dans le vague des airs

Le char de la nuit qui s’avance.

 

Vénus se lève à l’horizon;

À mes pieds l’étoile amoureuse

De sa lueur mystérieuse

Blanchit les tapis de gazon.

 

De ce hêtre au feuillage sombre

J’entends frissonner les rameaux :

On dirait autour des tombeaux

Qu’on entend voltiger une ombre.

 

Tout à coup détaché des cieux,

Un rayon de l’astre nocturne,

Glissant sur mon front taciturne,

Vient mollement toucher mes yeux.

 

Doux reflet d’un globe de flamme,

Charmant rayon, que me veux-tu?

Viens-tu dans mon sein abattu

Porter la lumière à mon âme?

 

Descends-tu pour me révéler

Des mondes le divin mystère?

Ces secrets cachés dans la sphère

Où le jour va te rappeler?

 

Une secrète intelligence

T’adresse-t-elle aux malheureux?

Viens-tu la nuit briller sur eux

Comme un rayon de l’espérance?

 

Viens-tu dévoiler l’avenir

Au cœur fatigué qui t’implore?

Rayon divin, es-tu l’aurore

Du jour qui ne doit pas finir?

 

Mon cœur à ta clarté s’enflamme,

Je sens des transports inconnus,

Je songe à ceux qui ne sont plus :

Douce lumière, es-tu leur âme?

 

Peut-être ces mânes heureux

Glissent ainsi sur le bocage?

Enveloppé de leur image,

Je crois me sentir plus près d’eux!

 

Ah! si c’est vous, ombres chéries!

Loin de la foule et loin du bruit,

Revenez ainsi chaque nuit

Vous mêler à mes rêveries.

 

Ramenez la paix et l’amour

Au sein de mon âme épuisée,

Comme la nocturne rosée

Qui tombe après les feux du jour.

 

Venez!… mais des vapeurs funèbres

Montent des bords de l’horizon :

Elles voilent le doux rayon,

Et tout rentre dans les ténèbres.

Alphonse de Lamartine / Méditations poétiques