DE LA LUNE DE MYTILÈNE
Par domcorrieras, le vendredi 25 novembre 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Ancienne et nouvelle ode
Tu m’as rendu le malheur tellement beau — que je sais :
À toi seule je le dirai ma vieille Lune marine.
C’était sur mon île autrefois là où si je ne me trompe
Des milliers d’années en arrière Sappho t’amena
En cachette dans le jardin de notre vieille maison
En frappant des galets dans l’eau pour que je sache
Qu’on t’appelle Selana* et que c’est toi qui tiens
Au-dessus de nous le miroir du sommeil et joues.
C’est ainsi que couché sur le dos je me souviens de juillet
Sortant des magnolias du Paradis
Je te voyais descendre là où luisait la mare
Avec des moucherons sur les feuille putréfiées
Par milliers, tu scintillais ! Comme tout était suspendu !
Et si pénétrant le bruit de la roue dans la nuit…
Parfois aussi lorsque tu amenais le hibou
Jusque dans ma chambre solitaire
Levant les ombres des meubles
Pour m’effrayer. Mais ce que voulait dire défunt je ne le savais pas
Ni ce que voulaient dire Temps ou Vision
Le reflet d’argent de la Vierge sur les eaux
Ces grands hiéroglyphes sur ta face
L’Amour et la Mort — je ne savais pas dire…
Et j’étais triste ! Seulement voilà c’était la nuit
C’était les feuille qui gouttaient et voilà
Qu’inexplicablement j’étais descendu dans la Mère
De l’echo la profondeur insondable
Et la part noire qu’il détachait
De moi et jetait dans le puits
Et la terre qui s’effritait sous mon pied
Le romarin qui se gonflait comme un paon
Seulement voilà, s’impatientaient et pressaient ma poitrine
Des larmes qui voulaient jaillir…
Loin dans les maisons aux toits argentés
Les autres enfants se hissaient par la voix
Se hissaient par leur voix avec l’harmonica
Alors que moi comme exclu assis sur les marches je pleurais
Et je suppliais : prends-moi, prends-moi dans tes bras
Et console-moi d’être né !
Non que je fusse malchanceux — je veux dire
Les années n’avaient pas plus de prise sur moi que l’eau
Et mes mots bondissaient dans la lumière
Tels des poissons frétillants pour atteindre
L’autre ciel — là où personne personne
Ne savait lire le Paradis
Ma vieille lune marine je n’ai que Toi pour dire
Car tu m’as rendu le meilleur tellement beau — et je sais :
Que toujours j’habite ma vieille maison
Et aux mêmes grincements toujours je sursaute
Et que les nuits où juillet continue de sortir
Enveloppé dans ta verdure noire je délire
Les hommes sont partis comme le vent partis
Dans la profondeur secrète des cyprés
Et il est long le frisson de la targette scintillante
Que la Nuit tire sur les feuillages
Mais où est « la joie » ? Où est « la nouvelle vie » ?
J’étais pourtant là, témoin, lorsque dans la troisième hauteur
S’éveillaient les uns après les autres les oliviers aériens
Et je demeurais à moitié hors du Temps
Pour considérer à nouveau la vallée que la Mort
Me dissimulait. Du saphir du Zodiaque entouré.
Ainsi loin sur la terre. Courants de mer
Et maléfices des feux follets des jardins. Comme il
Peine le poète aux lèvres vides
Toujours derrière son chagrin : l’Indicible,
Prends-moi, prends-moi dans tes bras
Et console-moi d’être né !
Comme il était léger le pas sur les brindilles
Et les fleurs si bleues. Tellement belle
La larme dans les yeux après que le bonheur s’est perdu
Au loin dans les aurores marines
Le baiser si pur que j’ai gardé tant que mon étoile
Déchirait le flanc d’août
Tellement amère la sérénité dans la paume de ma main
Tellement noirs et petits les humains
Un pied devant l’autre et qui avancent
continuellement avancent droit vers le Cocyte et le Phégéthon** !
Demi-frères, 1974
* Selena signifie « lune » en grec ancien.
** Deux fleuve des Enfers dans la mythologie grecque.
Odyseas Elytis / Le soleil sait - Une anthologie vagabonde
traduit du grec par Angélique Ionatos