« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

INTERVALLE


 

 

 

 

Qui donc te murmura ce secret à l’oreille

Entendu seulement par de rares déesses —

Cet amour-là plein de foi et de peur

Qui n’est vrai qu’en secret délivré ?…

Qui, avant l’heure, te l’a révélé ?

 

Ce ne fut pas moi, car je n’osai te le dire.

Ce ne fut un autre, puisqu’il l’ignorait.

Mais alors qui effleura de son front tes cheveux

Pour te dire à l’oreille tout ce qu’il ressentait ?

Et d’ailleurs, était-ce quelqu’un, vraiment ,

 

Ou seulement toi qui en rêvas, moi l’ayant rêvé pour toi ?

Ne fut-ce de ma part qu’une jalousie à ton égard

Pour le supposer dit, car jamais je ne le dirai,

Pour le supposer réel, car je l’ai seulement imaginé

En des rêves que je ne connais même pas ?

 

Quoi qu’il en soit, qui donc approcha doucement

De ton oreille alors vaguement attentive

Pour te parler de cet amour présent en moi,

Mais qui demeure prisonnier de ma pensée

Qui brûle de désir et ne sent jamais rien ?

 

Ce désir, sans corps et sans bouche, c’est lui seul

Qui, à tes oreilles, de mon rêve de toi vint glisser

La phrase éternelle, folle et imméritée —

Celle qu’attendent les déesses, de la félicité

A laquelle, peu à peu, se restreint l’Olympe.

Fernando Pessoa / cancioneiro
traduit du portugais par Michel Chandeigne et Patrick Quillier