« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Mauvaise tête

 

 

 

 

 

 

Alors je leur ai dit :

La nuée au-dessus de l’arche, moi je ne l’ai jamais vue

Et traîner cette boîte vide à présent ça suffit.

Retranchez-moi si vous voulez, en tout cas moi je me retranche —

De vos fêtes, de vos émeutes quand les sauterelles

Se font rares ou l’eau saumâtre, et de l’apostasie

Aussi de bœuf en bœuf qui vous roule dans la poussière

Mais l’œil toujours en coin vers la base de la montagne

Où le Vieux cornu resurgit pour casser de l’ardoise

Et cracher la fumée d’orage par les oreilles.

Malheur, je leur ai dit,

Quand le fil des roseaux d’Egypte n’ait pas tranché

Ses petits poings serrés sur une âme déjà remuante,

Et l’éternité plate du fleuve englouti

La première marche du temps rouvet par la Promesse.

Mais moi souvent parmi les froissements innombrables du songe,

Écoutant glisser la robe d’une princesse vers les lotus,

J’ai détourné ces pas qui déjà foulaient la pente de l’exode :

La noire extermination, les signes sanglants sur les portes,

La tranchée dans la mer comme un coup de vent par les blés.

Qu’est-ce que c’est que cette patrie, au-delà des cailloux,

Dont vous ne goûterez pas l’herbe, et quel autre

Canaan que la mort ? Qui nous a séparés

Du sombre Nil d’oubli dont on ne connaît pas les sources ?

Voilà ce que j’ai dit.

Ils se regardent maintenant, pour savoir qui jettera la première pierre.

J’ai pitié d’eux, pitié du berger solitaire qui les pousse

Comme son ombre à travers ce néant de sable et de siècles.

J’ai pitié mais j’ai peur aussi, je voudrais être ailleurs de toutes mes forces.

Jacques Réda / Récitatif
Photo Gilles Luneau