COURTE PAUSE DURANT LE CONCERT D'ORGUE
Par domcorrieras, le mercredi 22 mai 2013 - Poèmes & chansons - lien permanent
L'orgue s'arrête de jouer et un silence de mort s'installe
dans l'église
mais pour quelques secondes seulement.
Pénètre alors le doux bourdonnement du trafic
extérieur, le grand orgue.
Nous voilà encerclés par les murmures de la circulation
qui se promènent
le long de la cathédrale.
Où le monde extérieur glisse, tel un film translucide
dans un combat d'ombres en pianissimo.
Comme s'il appartenait aux bruits de la rue, j'entends
un de mes pouls battre dans le silence,
j'entends mon sang tourner, cette cascade qui se cache
en moi et m'accompagne toujours,
et tout aussi proche que mon sang et aussi lointain
qu'un souvenir du temps de mes quatre ans,
j'entends passer un semi-remorque qui fait trembler
les murs six-centenaires.
Tout cela est aussi éloigné que peut l'être le sein
d'une mère, pourtant je suis cet enfant
qui très loin entend parler les adultes, les voix des
vainqueurs
et des perdants qui s'entremêlent.
Une congrégation clairsemée occupe les bancs bleus.
Et les colonnes
se dressent tels des arbres étranges :
sans racines (seulement ce sol commun) ni
crêtes (seulement ce toit commun).
Je revis un rêve. Je me retrouve seul dans
un cimetière. La bruyère luit partout,
aussi loin que porte le regard. Qui est-ce que j'attends ?
Un ami. Pourquoi
ne vient-il pas ? Parce qu'il est déjà là.
Doucement, la mort fait remonter la lumière par le
bas, par le
sol. La lande brille d'une couleur lilas de plus en plus
intense
— non, d'une couleur jamais vue jusque-là… jusqu'à
ce que les lueurs
blêmes de l'aube viennent siffler entre mes paupières
et que je me réveille à cet immuable PEUT-ÊTRE qui
me transporte dans un monde chancelant.
Et les images abstraites de l'univers sont aussi
impossibles que l'est
le dessin d'une tempête.
Chez moi, l'omnisciente Encyclopédie occupe un mètre
linéaire de bibliothèque : j'y ai appris à lire.
Mais chacun se fait rédiger son encyclopédie,
elle grandit dans nos âmes.
elle s'écrit de la naissance à la mort, des centaines
de milliers de pages pressées l'une contre l'autre,
mais entre elles, il y a toujours de l'air ! Comme dans le
feuillage frémissant
des forêts. Le livre des contradictions.
Ce qui est écrit change à chaque instant, les images
se retouchent toutes seules, les mots scintillent.
Une lampe de fond roule à travers le texte, suivie de
la prochaine et d'une autre encore…
Tomas Tranströmer / La place sauvage