« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Prophétie

 

 




là où l’aven­ture garde les yeux clairs

là où les fem­mes rayon­nent de lan­gage

là où la mort est belle dans la main comme un oiseau sai­son de lait

là où le sou­ter­rain cueille de sa pro­pre génu­flexion un luxe de pru­nel­les plus vio­lent que des che­nilles

là où la mer­veille agile fait flè­che et feu de tout bois

là où la nuit vigou­reuse sai­gne une vitesse de purs végé­taux

là où les abeilles des étoi­les piquent le ciel d’une ruche plus ardente que la nuit

là où le bruit de mes talons rem­plit l’espace et lève à rebours la face du temps

là où l’arc-en-ciel de ma parole est chargé d’unir demain à l’espoir et l’ins­tant à la reine,

d’avoir inju­rié mes maî­tres mordu les sol­dats du sul­tan

d’avoir gémi dans le désert

d’avoir crié vers mes gar­diens

d’avoir sup­plié les cha­cals et les hyè­nes pas­teurs de cara­va­nes

je regarde

la fumée se pré­ci­pite en che­val sau­vage sur le devant de la scène ourle un ins­tant la lave de sa fra­gile queue de paon puis se déchi­rant la che­mise s’ouvre d’un coup la poi­trine et je la regarde en îles bri­tan­ni­ques en îlots en rochers déchi­que­tés se fon­dre peu à peu dans la mer lucide de l’air

où bai­gnent pro­phé­ti­ques

ma gueule

               ma révolte

                                 ­mon nom.

Aimé Césaire / Les armes mira­cu­leu­ses