« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Noyade

 

 

 

 

 


.../...
 

        Et tou­jours il était assis là, sur son canapé, à con­tem­pler le long frag­ment de che­veu noir qu’il avait dans la main. De toute une ima­gi­na­tion qui point ne bou­geait. Que rien, pas même une sou­ris n’aurait pu tra­ver­ser. Parce que c’était main­te­nant sa vie tout entière qui à ce che­veu se rédui­sait. Que du reste du monde plus il n’avait la moin­dre per­cep­tion et que c’était comme si rien d’autre jamais ne lui était arrivé : rien d’autre que ce bout de che­veu.

        Et lors s’était mis à le faire tour­ner entre ses doigts lors­que sou­dain il lui échappa, tomba par terre et dis­pa­rut sur le plan­cher. Lors­que saisi de pani­que lui aussi tomba : à genoux. Se prit à le cher­cher avec l’éner­gie du déses­poir cepen­dant que l’autre point ne con­sen­tait à se lais­ser trou­ver aussi faci­le­ment.

        Et déjà, à cher­cher son bout de che­veu japo­nais, il se trans­for­mait en vieux fou : en vieux fou qui pédale des qua­tre fers sur un plan­cher.

        ­Qui, à essayer de le retrou­ver, en est pres­que à pous­ser des hur­le­ments. Parce que oui, c’est bien fou qu’il pense qu’il va deve­nir, s’il ne par­vient pas à le retrou­ver : et tout de suite.

        ­Même qu’alors — et tout ça pour avoir perdu un mor­ceau de che­veu japo­nais — ce fut sa vie tout entière qui, telle un éclair, lui passa devant les yeux.

       ­ Comme devant ceux d’un homme qui se noie.

 

 

 

 




 

Richard Brau­ti­gan / Retom­bées de som­brero